Neila Tazi, Le festival Gnaoua c’est à la fois une histoire, une ambiance et une coupure totale avec le quotidien

Entretien avec Neila Tazi, fondatrice, productrice et organisatrice du Festival Gnaoua et Musiques du monde d’Essaouira
Aujourdhui.ma | 30-05-2014 Par Siham Jadraoui

ALM : Le Festival Gnaoua Musiques du Monde fête cette année sa 17ème édition, quelle en est la nouveauté ?

Neila Tazi : Chaque nouvelle édition est une découverte parce que le Festival Gnaoua et Musiques du monde repose avant tout sur un concept et une culture insolites, un projet original. Chaque année notre démarche consiste à proposer un contenu riche et différent autour d’une thématique centrale, les Gnaoua.

Et ce tant pour la programmation musicale que pour le forum que nous avons initié il y a 3 ans et dont le thème cette année est «L’Afrique à venir». Le festival Gnaoua c’est à la fois une histoire, une ambiance, une coupure totale avec le quotidien, 4 jours intenses de découvertes musicales, de mixité et d’échanges humains, entre le public et les artistes lors de l’Arbre à Palabres et avec des intellectuels et personnalités diverses lors du forum.

Un avant-goût de la programmation ?

21 des plus grands maâlmines Gnaoua du Maroc accueilleront  des grands noms de la world et du jazz. Je citerais en premier une icône,  le bassiste et poly-instrumentiste, producteur et compositeur Marcus Miller, connu pour être le boss de la basse mais aussi pour avoir produit et composé l’immense album Tutu de Miles Davis en hommage à Desmond Tutu lauréat du prix Nobel de la Paix en 1984 pour sa lutte avec Nelson Mandela contre l’apartheid. Dans  son dernier album, Renaissance, Marcus Miller célèbre Gorée, l’île aux esclaves. Il a été récemment nommé artiste de l’Unesco pour la Paix dont il deviendra le porte-parole pour la commémoration de la Route de l’esclave.

Nous accueillerons l’étonnant trompettiste Ibrahim Maalouf qui était déjà venu au festival il y a quelques années et qui a fait un solide chemin depuis, et le célèbre violoniste Didier Lockwood. Les artistes d’Afrique subsaharienne occupent comme toujours une part dominante de la programmation. Cette année l’excellent joueur de ngoni (ancêtre du guenbri) le malien Bassekou Kouyaté, est à découvrir absolument tout comme la nouvelle star du reggae le Sénégalais Meta. Et puis une belle voix féminine, avec la diva Ayo, artiste nigérienne engagée.

L’association Yerma Gnaoua a entrepris la réalisation d’une anthologie de la musique gnaouie. Parlez-nous de ce projet…

La décision de l’association Yerma Gnaoua de procéder à la réalisation de cette anthologie procède d’un souci d’urgence de préserver la mémoire collective des Gnaoua et de maintenir authentique un répertoire qui risque de se perdre par le relâchement de la tradition orale. L’anthologie est composée de 9 CD comprenant l’enregistrement intégral de la lila de derdeba interprétée par des maâlems des différentes régions du Maroc et un livre comprenant la retranscription des textes chantés ainsi que des contributions du musicologue Ahmed Aydoun, de l’anthropologue Abdelhay Diouri et de l’historien Khalid Chegraoui.  Tous les textes sont en langue arabe et traduits en langue française. C’est un projet qui a nécessité 4 années de travail pour l’équipe de l’association Yerma Gnaoua et les experts que je viens de citer et que nous remercions chaleureusement. Permettez-moi de les citer, la Fondation OCP, les Eaux Minérales Oulmès et la BMCE Bank. C’est un travail pour la mémoire et ce n’est qu’un début.

L’équipe du Festival Gnaoua et Musiques du monde a commandé une étude auprès de la fondation Valyans pour connaître l’impact du festival sur la ville, quel est l’objectif derrière cette étude ?

Cette étude est fondamentale pour alimenter le débat, faire avancer les idées et le cadre dans lequel le festival se déroule. La question des festivals tend à être banalisée alors que ce sont des productions imposantes mais souvent trop fragiles.

Il me semble que chaque festival doit trouver le mode de fonctionnement qui puisse lui assurer une pérennité ou ne serait-ce qu’une vision sur 2 ou 3 ans dans un premier temps. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui puisque la majorité des festivals recommence le même parcours du combattant pour  la recherche de financements, à peine une édition terminée. Je pense que ces questions méritent d’être débattues avec l’ensemble des acteurs responsables et bénéficiaires pour qu’il y ait un peu d’innovation et plus d’équité sur ces questions-là, pour sortir des débats superflus. La culture a un prix et nous devons en discuter sans complexe, et au contraire avec vision. L’étude réalisée avec la Fondation Valyans a été menée avec la contribution des pouvoirs publics, des acteurs économiques et touristiques et elle permet de démontrer tout ce que le festival a apporté. Un chiffre à retenir, le festival a généré une recette de 1,7 milliard  de dirhams pour la ville en 16 ans.

Le forum en est cette année à sa troisième édition, quel bilan faites-vous ?

Le forum occupe une place essentielle dans le festival aujourd’hui et prend de plus en plus d’importance. C’est un réel espace de débat, ouvert au public et qui réunit différentes sensibilités et personnalités selon la thématique.

L’an dernier avec le thème «Jeunesses du monde» nous avons organisé des débats entre des décideurs, des officiels et des leaders du Mouvement du 20 février par exemple. Le soutien et la confiance du CNDH sont un atout pour le festival qui conforte notre  démarche. Depuis le départ, notre volonté a été de réaliser un événement qui soit le reflet de notre vision de la démocratie, qui respecte la liberté d’expression, un événement qui considère la culture et la musique comme un droit pour chaque citoyen, un événement qui réunit toutes les sensibilités.

On voit que l’Afrique est au centre de l’actualité politique et économique du Maroc, surfez-vous sur cette vague en choisissant l’Afrique comme thème ?

Si vous faites une rétrospective de ces 17 années vous constaterez que la dimension africaine a toujours été un des piliers du festival parce que les Gnaoua nous rappellent à notre africanité et que leur musique est un trait d’union exceptionnel entre les musiques du monde et le continent africain, berceau de toutes les musiques.

Les artistes africains ont  toujours eu la part belle dans notre programmation justement parce que notre volonté a toujours été de dire au Maroc nous sommes Africains.

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