Youss : « En Algérie, on fête l’indépendance avec des larmes de douleur »

Moriane Morellec , 06/29/2012 , www.mondomix.com
Entre l’Algérie et la France, son cœur ne balance plus : Youss a trouvé un équilibre pour partager sa vie personnelle et artistique entre les deux pays. Rencontre avec  l’ex-leader du groupe de rap algérien Intik pour parler des célébrations du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, du mouvement hip hop algérien et de son nouvel album à venir, L’Humeur d’un Homme.

Vous participez au festival Paris-Alger au Petit Bain. Quel évènement fête-on le 4 juillet ? Que veut dire ce cinquantenaire de l’indépendance pour les Algériens ? 
Youss : Le 5 juillet, c’est la date de l’indépendance de l’Algérie. C’est le cinquantième anniversaire. Je le fête pour le peuple, pour les gens, mais pas pour le gouvernement. C’est 50 ans d’indépendance mais c’est aussi cinquante ans de souffrances. On ne fête pas l’anniversaire d’une mort de la même manière qu’on fête l’anniversaire d’une naissance. C’est certes le cinquantième anniversaire mais ce n’est pas le bonheur. Je fête l’indépendance mais avec tout l’historique derrière. Ce n’est pas quelque chose de gai.
Les Algériens n’ont pas envie de faire la fête ?
Youss : Oui et non. C’est un peu ambigu comme situation. On s’abstient de faire la fête parce qu’il y a trop de souffrances. Le sang est encore chaud. Au concert du Petit Bain, je vais faire un set avec des textes engagés. Je ne veux pas que les gens oublient. Je suis là pour dire que l’indépendance, c’est bien, mais qu’il faut se rappeler qu’il y a de la souffrance, qu’il faut s’occuper de l’éducation nationale et des enfants, des écoles, de l’enseignement en Algérie, de l’avenir. Quand on voit toutes les ressources que possède l’Algérie, c’est juste inadmissible. Le système hospitalier en Algérie est catastrophique. Pour faire une échographie, il faut attendre trois mois et toujours donner des pots de vin. Il faut également régler les problèmes de corruption. Je ressens vraiment cette ambigüité autour du jour de l’indépendance. Si j’avais été présent le 5 juillet 1962, j’aurais été l’homme le plus heureux sur terre. Le jour même, les gens qui ont ramené cette indépendance voyaient un avenir meilleur pour l’Algérie. Ils se sont battus pour que le pays et le peuple soient bien, qu’ils vibrent avec toute cette liberté. Malgré toutes les ressources de l’Algérie, les gens sont quand même dans la misère. C’est une toute petite classe, une toute petite sphère sociale, qui profite des richesses de tout un pays. Donc célébrer, oui, mais en demi-teinte. En tous cas, pour moi. Pour certains, c’est juste un jour comme les autres. Moi c’est assez particulier : mon père a fait la guerre d’Algérie, nous sommes vraiment imprégnés de cette histoire. C’est très bien que l’Algérie ait pris son indépendance mais  je regrette tout ce qui s’est passé après. De A à Z. En espérant que l’avenir sera meilleur pour nos enfants. Il y a du bonheur et de la tristesse. C’est vraiment ambigu, on fête quelque chose mais il y a des larmes de douleur. C’est comme une maman qui voit sa fille se marier et partir, elle est heureuse et triste à la fois. Des sentiments contradictoires. Tout n’a pas un sens. Il faut accepter et c’est tout. On arrive déjà à mettre des mots dessus, c’est pas mal !
Al-Madi, titre inédit de Youss
Le hip hop en Algérie est-il un véritable mouvement, un lieu d’expression contestataire?
Youss : L’Algérie, c’est comme partout. Il y a du bon et du mauvais. Dans le rap en Algérie, il y a cette culture à la Booba, à la bling-bling, qui a atterri. Du coup, les rappeurs se mettent à rapper pour les rappeurs et non plus pour le public. Le public, lui, n’est pas dans ce délire de bling-bling. Il est là pour écouter des textes et de la belle musique. Une partie des gens militent avec des textes et c’est généralement les anciens. Par exemple T.O.X., à Oran, un groupe incroyablement professionnel. Il y a aussi Xenos, un algérien qui vit en France. Il y a également un rappeur algérois qui s’appelle Diaz, il fait partie du groupe MBS. Les bons, on les compte sur les doigts de la main. Des groupes de rap en Algérie, il y en a des milliers. Mais de bons groupes, qui ont des choses à dire, il y en a peu. C’est un peu comme partout. Après, il y a le gouvernement qui essaie de récupérer le rap pour la politique. Le hip hop en Algérie est encore frais, même s’il a vingt ans d’existence et les politiques commencent à se rendre compte que ça peut leur porter préjudice. Alors, ils décrédibilisent le mouvement en faisant passer l’un des premiers rappeurs algériens à la télévision nationale, en le faisant décorer par le président de la république. Tout le milieu hip-hop en veut désormais à ce rappeur et le gouvernement a réussi  son coup. C’est un moyen de pression politique. Les chaînes algériennes prétendent qu’elles sont démocratiques mais ce n’est qu’une vitrine. Tout est minutieusement contrôlé. La culture n’est pas une priorité en Algérie et c’est ce qui manque. Parce que la culture, au sens large, peut être un problème pour les politiques en place ou les futurs politiques. A un moment, c’était même la chasse aux intellectuels, qui peuvent être des leaders potentiels. Ils rabaissent les artistes. Moi je suis ici, j’ai le choix et je comprends les artistes en Algérie. J’imagine la frustration d’un artiste qui ne peut pas jouer, pas s’exprimer.
Clando Sarko de Youss
Vous vivez maintenant en France, vos titres critiquent ouvertement la politique française comme Clando Sarko ou Intégration.  Vous avez un pied sur chacune des rives ?
Youss : Oui complètement. Ici je me sens chez moi. C’est ici que je vis, ici où j’ai envie que mon enfant s’épanouisse, ici où se trouvent tous mes projets. Mais ce n’est pas sans l’Algérie. Ça commence à s’emboîter. Pendant longtemps, je pensais que j’avais le cul entre deux chaises. Jusqu’à ce que je réalise que j’ai plutôt deux chaises! En France, je suis bien et quand je vais en Algérie, je suis bien. J’essaie de prendre les côtés positifs de chaque pays. Ce n’est pas toujours évident mais c’est possible. Avant, je me mettais en « mode Algérie » ou en « mode France ». Maintenant, j’ai réussi à trouver les rapprochements entre les deux sociétés. Finalement, la société algérienne vient de la société française, c’est un héritage qu’on a eu. On retrouve pas mal de similitudes, même culturelles. Rien que dans notre façon de parler. Dans l’algérois par exemple, il y a plus de mots en français qu’en arabe. L’arabe littéraire n’existe quasiment pas dans l’algérois ! Par exemple, quand quelqu’un dit « il a traversé l’autoroute » on dit « traversa l’autoroute » ! C’est  plus que transparent. Même par rapport aux défauts de la société, aux défauts des individus. On dit que les Français sont un peu râleurs, les Algériens le sont aussi. Il y a un héritage. On reproduit ce que le colonisateur a apporté. J’ai réussi à rapprocher artistiquement les deux pays.
Quels sont vos projets à venir ?
Youss : Un album ! En France, je n’ai rien sorti depuis 2001. J’ai sorti deux albums en Algérie parce que j’avais une demande du public là-bas, l’un en 2006 et l’autre en 2008. J’ai été blasé par l’industrie et le support disque ne me convient pas. Ça ne me convient pas de rentrer dans ce délire de production. J’ai quitté Sony, je ne voulais plus. Je voulais juste être un être humain normal. Comme François Hollande (rires). Je suis prêt à travailler en dehors de la musique pour avoir cette indépendance artistique. Je préfère sortir l’album sur un support numérique. Ça se fera au cours de l’année. Il s’intitule L’Humeur d’un Homme. Un jour, tu te réveilles, t’es pas bien, tu ne sais pas pourquoi et tu fais un morceau rock. Un jour tu te réveilles, t’es en mode love et tu fais une chanson d’amour.  Et un autre jour, tu fais un morceau mélancolique. C’est ça, L’Humeur d’un Homme. Un album très éclectique et je l’assume entièrement. Je n’arrive pas à me cantonner à un seul genre musical. C’est comme si je ne montrais qu’un seul profil de moi-même.
Propos recueillis par Moriane Morellec
Et sur le web :

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