Arnaud Robert
LeTemps.ch 29 06 2013

Par centaines de milliers, des jeunes ont dansé sur les musiques des gnawas en regardant la mer. Arnaud Robert raconte ce Woodstock marocain, où un art ancestral paraît transcender les détresses et les colères.

Le festival d’Essaouira. Des musiciens gnawas ouvrent les festivités sur l’artère principale de la ville. Le soir, des milliers de jeunes déambulent au bord de la mer, au rythme des luths et des castagnettes de métal. (Alex Troesch)
Le festival d’Essaouira. Des musiciens gnawas ouvrent les festivités sur l’artère principale de la ville. Le soir, des milliers de jeunes déambulent au bord de la mer, au rythme des luths et des castagnettes de métal. (Alex Troesch)
Il est presque deux heures du matin. Entre des murs antiques, sur le port d’Essaouira, un spectateur se penche vers l’ensemble qui joue. Il se balance au son des castagnettes de métal, du luth à trois cordes, de ces voix noires qui, en chœur, répètent le nom du prophète. Le danseur est en transe. Une transe douce, maritime, pleine d’embruns et de zéphyr. Un garçon, 25 ans, est arrivé d’une ville voisine pour le festival. Il claque des mains sur les contretemps. Il parle de ces confréries soufies. «Ce qu’elles jouent, c’est notre reggae, notre pop music. Il n’y a rien de plus naturel. Aucune guitare électrique, pas de boîte à rythmes. Et pourtant, elles nous font voler.»
Comment est-ce même imaginable? Du 20 au 23 juin, quatre cent mille personnes, des Marocains pour la majorité, des jeunes gens pour la plupart, sont venues dans cette cité fortifiée à deux heures à l’ouest de Marrakech pour entendre la musique des gnawas. Essaouira est le carrefour de cette confrérie créée par des esclaves d’Afrique noire, qui mêle des rituels animistes, de guérison et d’extase, à une tradition plus locale de mystique musulmane. «Lorsque nous avons créé la manifestation, en 1998, ce n’était pas gagné. Personne ne connaissait les gnawas et ceux qui en avaient entendu parler s’en méfiaient parce qu’ils assimilaient leur pratique au vaudou.»
Neïla Tazi, directrice du festival, se souvient d’un autre temps, un autre règne aussi, où les concerts devaient être interrompus au moment de la prière. Depuis, le Maroc a changé: les attentats de 2003 à Casablanca, les révolutions arabes, l’arrivée au pouvoir il y a deux ans d’un parti islamiste, le PJD (Parti de la justice et du développement), et la guerre faite par le jeune roi Mohammed VI au salafisme. «Personne aujourd’hui», affirme Tazi, «n’oserait s’en prendre aux gnawas, ils sont les ambassadeurs les plus précieux du pays.» Le roi aime les soufis, il le dit et s’appuie sur eux pour contrer l’avancée de l’islam arabe conservateur.
Essaouira, chaque début d’été, témoigne donc des métamorphoses que le Maroc subit. Sur les remparts de la ville, des post-hippies de Casablanca ou de Rabat, en tresses rastas, se calent sur leur sac de couchage. Ils ne chantent pas Bob Marley, mais s’agitent sur les pulsations obsédantes des gnawas, les basses épaisses du luth guembri, ils chantent des refrains traditionnels, populaires, qui évoquent des esprits africains, des répertoires classés par couleur. La nuit venue, ils se précipitent devant la gigantesque scène Moulay Hassan et réagissent davantage aux incantations des maîtres en djellaba qu’aux concerts des invités internationaux.
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