Algérie : Cheikh Sidi Bémol Broc'n'roll

22/03/2015 à 11:25 Par Léo Pajon
in Jeuneafrique.com

Derrière ce pseudonyme, Hocine Boukella, chanteur et guitariste kabyle qui défend des influences orientales et occidentales.

Des jeunes, des vieux, des femmes, des hommes : une foule bigarrée de plus de cinq mille personnes saute, agite les bras vers le ciel et chante à l’unisson sur une scène de plein air à Alger. C’est l’effet Sidi Bémol : un groupe de « gourbi rock », une musique « de bric et de broc » mêlant mélodies indiennes, blues, rengaines celtiques, chansons berbères… qui fait plusieurs fois le tour du monde en une heure de concert. À sa tête, Hocine Boukella, « Cheikh Sidi Bémol » pour les fans, barbe de trois nuits et cheveux indociles. Un chanteur-guitariste de 57 printemps qui affiche déjà neuf albums au compteur, a tourné avec son groupe à Barcelone, Essaouira, Montréal, mais garde le noyau dur de ses supporters entre l’Algérie et la France.
C’est à Alger que l’artiste est né. Il se remémore « une enfance insouciante » dans une famille étoffée (sept garçons, trois filles) habitant le quartier populaire de Belcourt, où son père travaillait comme directeur d’école. Ses parents avaient quitté la Kabylie pendant la guerre. « J’avais peut-être une sensibilité artistique plus forte du fait de mes origines, estime aujourd’hui Hocine Boukella. Les Kabyles, comme les Bretons par exemple, des peuples dont on a combattu la culture, ont créé par réflexe plus de chants, de textes, pour préserver leur langue, leurs spécificités. »
Mais ce n’est qu’au début de l’adolescence qu’il apprend la guitare classique, suivant l’exemple d’un frère aîné. « Les premiers accords que j’ai appris sont ceux du blues. Je mélangeais déjà John Mayall (grand bluesman anglais), des chansons kabyles et des choses entendues sur radio Alger chaîne 3 : du jazz, de la musique russe ou africaine. La fusion se faisait naturellement… D’ailleurs, quand j’écoutais le chanteur algérien Cheikh Hamada, je me disais qu’en mettant de la guitare électrique derrière on ne serait pas si loin des Stones ! »
En 1985, Hocine quitte Alger pour faire une thèse de génétique des populations à Paris. Mais baigner des mouches dans du solvant pour analyser la biosynthèse de leurs phéromones le lasse assez rapidement. D’autant que, en parallèle de ses études de biologie, le jeune homme commence à vendre des dessins pour la presse, réalise des affiches… et écume les bars avec un premier groupe de musique (Raï on the rock).
Au début des années 1990, alors que la guerre civile commence à enflammer son pays d’origine, Hocine décide de vivre de son art en France. Il crée Sidi Bémol et connaît une « période délicate ». Sans papiers, comme la plupart des membres de son nouveau groupe, il jongle entre rénovations d’appartements et concerts : « La camionnette du percussionniste nous servait à la fois pour les chantiers et le déplacement du matériel pour les spectacles ! » Hocine continue également de dessiner. C’est d’ailleurs une exposition de ses oeuvres au Sénat qui lui permet de rencontrer le ministre de la Justice… et de régulariser sa situation.
Bientôt, Sidi Bémol commence à décoller. Suffisamment pour que le groupe envisage de tourner à l’international… et se rende compte de sa popularité en Algérie. « Lors de notre premier concert à Alger, en 2000, j’ai d’abord pensé que nous allions nous retrouver devant dix personnes… Nous avons joué à guichets fermés ! Je me suis aperçu avec stupéfaction que le public connaissait nos chansons. D’ailleurs, par la magie du piratage, notre album, qui n’était pas commercialisé dans le pays, se vendait déjà dans la rue ! »
Certains de ses titres sont aujourd’hui des tubes en Algérie, comme « Boudjeghlellou », chanté en duo avec Karim Abranis, pionnier du rock algérien, qui est resté deux mois numéro 1 au top 50 kabyle. Cette chanson apparemment inoffensive raconte l’histoire d’un escargot géant qui bloque la route et empêche tout le monde d’avancer… Mais les Algériens qui y ont vu une parabole sur le système politique ne s’y sont pas trompés.
« Hocine est quelqu’un de très intègre, commente Ira Wizenberg, son manager. Il n’hésite jamais à dire ce qui le gêne, y compris quand il s’agit des dirigeants. Mais sa critique est toujours poétique, elle passe par la métaphore. Dans son titre « Bled Tchina », pour évoquer la déliquescence du régime, la soif du pouvoir, il parle du pays de l’orange où l’on « s’enrichit pour construire des palais et semer du ciment dans les champs ».
 » Approché par des partis politiques français et algériens, le chanteur a préféré garder sa liberté de parole. Farouchement indépendant, « incapable de faire une musique formatée », Hocine Boukella a aussi créé son propre label, CSB productions, en 2004, qui publie également ses recueils de dessins. Il travaille déjà sur son dixième album. « C’est un retour aux guitares rock et blues des débuts, aux sources un peu bordéliques du gourbi rock, s’amuse-t-il. On veille à continuer à faire de la musique comme d’autres font de la récup.
>> Renseignements concerts : www.sidibemol.com. Le dernier album, Âfya (CSB Productions/RFI Talent), est en vente sur www.undergroone.com
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