Algérie, le rap squatte l’underground D'Abrasax à Xénos

Pendant les années 1990, l’Algérie vivait sa décennie noire. Le Micro Brise le Silence, Intik ou Hamma braquèrent les projecteurs sur une jeunesse consciente et avide de liberté. Mais aujourd’hui, comment va le rap en Algérie ? Balade entre Oran et Paris, à la rencontre de ceux qui continuent d’écrire et de chanter l’horizon cimenté de la jeunesse algérienne.
tox3 Au coucher du soleil, le petit home studio de ce quartier excentré d’Oran, vibre dans le même temps, de boucles hip hop autoproduites et du puissant appel à la prière de la mosquée d’en face. Les rappeurs de l’ancienne génération oranaise, TOX, Abrasax, ou ceux de la nouvelle école comme Psycho, Rafale-A, l’N.fect, refusent d’y prêter attention. Ensemble, ils tentent plutôt de définir les racines du malaise du rap algérien, ou en tous cas, leur quotidien de rappeurs d’Oran, berceau du raï et deuxième ville d’Algérie.
Coup de jus
Pas de faux-semblant : il est rude. Pour les rappeurs, comme pour la jeunesse en général : « Les maisons de jeunes d’Oran ne sont pas attractives. On trouve une table de ping-pong dans un coin, un baby foot, parfois un cours de couture pour les filles…C’est tout. Donc le rap nous est nécessaire pour s’exprimer, mais c’est impossible d’en vivre », assure Abrasax, la petite trentaine.
Aujourd’hui, le rap s’enregistre à la maison et se diffuse surtout entre initiés, sur le net, l’espace d’expression le plus direct et le plus fiable. La radio locale d’Oran, Radio Bahia, proposait bien un « top dix » du rap algérien mais la rubrique a été supprimée en 2007. Les radios – toutes publiques, il n’existe pas de radios privées en Algérie – ne diffusent que très peu de rap. « Pour passer à la radio, on s’est adapté au système de censure. Par exemple, on va se mettre dans la peau d’un commerçant du port qui détourne de l’argent, en chantant « Choufni Ki Nekdeb », ce qui veut dire « Regarde comme je mens ». Ça passe, car ça ne vise pas vraiment le pouvoir. Quand on raconte directement notre quotidien, l’exil, le chômage, le seul canal de diffusion, c’est internet », détaille Abrasax. Quant aux producteurs, touchés de plein fouet par l’industrie massive du piratage, ils peinent désormais à miser sur le raï, alors sur le rap…
Pourtant à la fin des années 1990, le hip hop avait le vent en poupe. Le rap est arrivé en Algérie par la parabole et par bateau dans les valises des familles émigrées et s’est propagé comme une traînée de poudre dans les quartiers d’Alger ou d’Oran. Entre 1998 et 2000, le Micro Brise le Silence, Intik et les Hamma, trois formations algéroises ont signé en France avec Universal ou Sony.
tox2En 1998, le festival Logique hip hop invitait Intik et les Hamma à Marseille pour rencontrer IAM, tandis que l’année suivante, en 1999 se tenaient les premières Rencontres méditerranéennes hip hop d’Alger… « Tout a beaucoup bougé de 1995 à 2000, mais maintenant c’est dur, résume Banis. A ce moment-là, le pays vivait des années noires et les jeunes qui rappaient dans ce contexte prouvaient que la société vivait malgré tout. Alors les projecteurs se sont braqués sur le rap pendant les années de crise, et puis après, l’ampoule a grillé. Aujourd’hui, nous qui sommes restés, on continue à rapper, mais dans le noir ».
L’Algérie ne fait plus la une des journaux, mais sa jeunesse a toujours de quoi prendre le mic. « Il existe des groupes dans toutes les villes du pays, mais le rap reste dans l’underground, il n’y a pas de concerts, insiste Banis. On n’arrive pas à avancer dans notre discours. Au-delà des rimes, y’a le fond : ce qu’on dit dans nos textes et que personne ne veut entendre ».
Aujourd’hui, seul un rappeur réussit à s’imposer en Algérie, c’est Lotfi Double Kanon, dont le seul nom réussi à déclencher la polémique. Originaire d’Annaba, à l’est du pays, il sort de 1997 à 2005, quinze albums (!), alors que ses pairs galèrent à mettre une cassette sur le marché. Rappeur de service pour les uns, fer de lance d’une nouvelle génération pour les autres, Lotfi Double Kanon, décoré par le président Bouteflika en personne en 2007, représente toute la complexité de la prise de parole en Algérie, souvent accusée d’être récupérée par le politique.

De l’autre côté de la Méditerranée

tox4A mille kilomètres de là, Xénos, rappeur d’Oran et « étranger dans son propre pays », a préféré l’exil. Il nous accueille chez lui dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Avec lui, autour d’un thé et de quelques dattes, Youss, ex-chanteur d’Intik et Diaz, rappeur du quartier d’Hussein Dey, racontent leurs parcours en dent de scie. Le groupe Intik (« Tout roule ») s’est séparé en 2001 et Youss n’a plus de contacts avec Réda et Nabil. En solo, il revient à ses premières amours reggae et vient d’enregistrer un album dans les conditions du live pour démarcher salles de concert et producteurs.
Diaz, qui est interdit de séjour en Algérie, se présente comme le rappeur le plus censuré d’Alger. « Bricolateur » en chef, il a fait une guirlande de petits boulots en parallèle du rap : peintre, vendeur de cigarettes au noir, puis ouvert une vidéothèque, rapidement devenue studio d’enregistrement… « Mais j’attendais de partir de toutes façons. Je suis arrivé à Paris en 2007. Maintenant je suis appariteur à la fac », complète-t-il. Souvenirs de la décennie noire.
Au cours de la discussion, des rumeurs reprennent corps, des fantômes s’animent, de sombres images refont surface, avant d’être balayés par une bonne blague de Youss. Arrivé en France à la fin des années 1990, il envisage le rap comme un chant et une bouffée d’oxygène. L’exil était pour lui un mal nécessaire : « Honnêtement, je ne sais pas ce que je serai devenu si je n’étais pas parti : gendarme ou « terro »(riste), c’est selon. En Algérie, les jeunes savent que même s’ils vivent deux cents ans, ils n’auront aucun avenir dans leur pays, ni demain, ni après-demain…Les jeunes tiennent les murs à longueur de journée. Tous les rappeurs activistes d’Alger sont partis. Selon moi, l’Algérie de demain se construit à partir d’ici ».
Xénos acquiesce. Il reste en liaison par internet avec Abrasax et TOX, sa clique d’Oran et prépare depuis plus de deux ans et demi, un album autoproduit, Madrassat El Hayat, (« l’école du galérien »). Une école où les murs, qu’il faut tenir à en mourir d’ennui, permettent d’observer la vie comme elle va, à Alger, Oran ou Paris.
Eglantine Chabasseur
RFI – Oran – 16/01/2009 –

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