Abdelaziz Yousfi, connu sous le nom d’artiste «Bazou», a mis en scène et composé les musiques de la dernière production du Théâtre régional de Béjaïa (TRB), 1930 . Il s’agit d’une pièce dans laquelle des techniques de la comédie musicale sont utilisées. 1930  revient sur la célébration par le colonialisme français de ses cent ans de présence en Algérie. La pièce a été présentée à la faveur du 4e Festival international du théâtre de Béjaïa.

-Comment peut-on qualifier cette comédie musicale avec peu de musique ?
Il y a un côté théâtre, et il y a un côté musique. Le spectacle est découpé en deux. Une comédie musicale ne signifie pas une domination totale de la musique. Les textes sont soit chantés ou dits. Il faut éviter de tomber dans le music-hall. Chacun peut qualifier le spectacle comme il veut ! J’aime bien travailler sur les séquences-tableaux et puis je vois le texte. Le texte de 1930  a été co-écrit par Salima Bouzouzou, Mouhoub Latrèche et Omar Fetmouche. C’est un travail collectif. Le titre est très simple. Pourquoi compliquer les choses pour dire des choses que les spectateurs auront du mal à comprendre. Mon côté cinéma est présent dans la scène. Le tire 1930  me rappelle Z (le film de Costa Gavras, ndlr). Cela crée une certaine curiosité pour le public, surtout que nous avons choisi la couleur noire pour l’affiche, alors que le spectacle est très coloré. Dans la pièce, les femmes se battent contre le capitaine et son ordre. Dans toutes les révolutions, les femmes jouent un rôle incroyable. Rôle joué dans toutes les causes, en fait.
-La domination de la langue française était-elle voulue pour ce spectacle sur la présence coloniale française ?
Ce n’était pas voulu. C’est une situation. Les Algériens s’exprimaient en chantant. C’est plus beau et plus intéressant pour moi. La plupart des textes chantés sont en arabe. Je ne voulais pas faire chanter les Français, sauf le capitaine François et le policier Gomez qui est d’origine portugaise. Je me suis beaucoup documenté pour ce travail. Après 1830, les Français voulaient que les Européens soient plus nombreux en Algérie. Ils se sont rendus compte qu’il n’y avait que des militaires. Ils ont alors ouvert les portes à l’immigration. Sont venus alors les Maltais, les Portugais, les Espagnols et autres. D’où le personnage de Gomez. Il ne voulait pas être un policier, mais chanteur.
-Et Gomez semble avoir de bons rapports avec les habitants de La Casbah d’Alger, quartier où se déroule l’histoire…
Oui. A l’époque, une certaine convivialité existait à La Casbah. Gomez était une personne acceptée par la population. Il était gêné lorsque le capitaine François était venu «remettre de l’ordre» (menacer les habitants qui soutenaient le truand-justicier, Belkacem Benchâabane, ndlr). Gomez disait que ce n’était plus comme avant. C’est un peu ma vision des choses (…). Le bandit d’honneur montré dans la pièce est un personnage imaginaire. Mais, cela a existé. Je me suis inspiré de bandits qui ont vécu à une certaine époque à Alger. Le préfet (qui avait donné l’ordre d’arrêter Belkacem, ndlr) avait tous les pouvoirs de la police. Il était chef des armées et de l’administration. Anna, sa fille, symbolise dans la pièce toutes les personnes européennes qui étaient contre la colonisation et le mauvais traitement infligé aux Algériens. Anna se révolte un peu.
-Mais, la pièce 1930 n’est pas porteuse d’une dénonciation claire de l’occupation française de l’Algérie…
Honnêtement, je ne voulais pas raconter cela. C’est une histoire de confrontation entre des occupants et des gens dominés. Cette histoire aurait pu se passer n’importe où, pas uniquement à La Casbah d’Alger. Ce n’est pas une histoire liée à l’Algérie et à la France. Ce n’est pas mon but. Je voulais raconter une belle histoire, quelque chose de fantaisiste. C’est tout. Je peux me tromper,  mais ça reste un spectacle ! Ce conflit n’a pas de terre. La Casbah est un endroit qui me plaît. Sur scène, c’est La Casbah que je vois. Les costumes et les décors ne sont pas réels. Je suggère un endroit.
-Avec une scénographie figée, inchangée…
Ce n’est pas important. Nous avons joué sur les lumières. Les lumières ont créé l’espace. C’est un choix. Le public peut être d’accord ou pas (…) Pour la musique, il s’agit de mes propres compositions. J’ai pris deux chansons de Ahmed El Kamel, un chanteur des années 1930, ami de Rachid Ksentini. J’ai repris ses titres avec arrangement Tic, tac et Manaâref. J’ai aussi repris une chanson de l’artiste juive Line Monty (une chanteuse d’Alger, ndlr).
En fait, je voulais faire un clin d’œil à ces personnes que j’aime bien. Ahmed El Kamel avait fait de la bonne musique, mais qui est toujours méconnue. Mounia Aït Meddour a écrit les paroles des autres chansons de la pièce. Sur scène, vous avez vu des comédiens et comédiennes qui n’ont jamais fait du théâtre auparavant comme Souhila et Nacima. J’avais l’impression en travaillant avec eux qu’ils avaient toujours joué. Il était difficile de travailler sur la diction en langue française. Je n’allais quand même pas ramener des comédiens français pour interpréter certains rôles ! Salima Bouzouzou a assuré tous les cours de diction. Cela reste une aventure, il faut oser le
faire ! J’ai choisi cette forme d’expression parce que je suis d’abord musicien.
Fayçal Métaoui

El Watan 05/11/2012

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