Ces jeunes en quête d’air libre et frais

La nouvelle scène musicale algérienne s’installe doucement
La première section «Off» du 9e Festival international du jazz de Constantine (Dimajazz), qui a eu lieu du 17 au 23 juin 2011 au palais de la culture Malek Haddad, a mis sous le feu des projecteurs de jeunes groupes de musique venus de Skikda, Béjaïa, Oran, Constantine et Alger.
L’esplanade Aziz Djemam, du nom de l’un des fondateurs du Dimajazz, du palais Malek Haddad, a accueilli pendant une semaine des dizaines de jeunes qui n’attendaient que cela. Pour être simple, une question : est-il normal que Constantine, troisième ville du pays, ne possède pas de salle de cinéma ni de galerie d’art ? Les trois quarts du temps, le Théâtre régional reste fermé, alors que les compagnies indépendantes du théâtre n’arrivent pas à émerger. Présents chaque soir aux concerts du Dimajazz 2011, Nouro Boulahlib et Yacine Delimi, des lycéens de 17 et 18 ans, nous ont confié qu’ils ont besoin d’espaces culturels. «Nous voulons nous exprimer. Nouro a un groupe de metal rock et ne trouve pas d’endroit où répéter. On ne comprend pas. Il est rare de se retrouver, comme ce soir, pour un spectacle ici à Constantine», nous dit Yacine, appareil photo en main, prêt à tout balancer sur son compte facebook.
Khalida Toumi, ministre de la Culture, a annoncé l’inscription d’un projet d’une salle de spectacle de 6000 places pour Constantine. Faut-il construire une salle aussi immense ? Les avis sont partagés. «J’aurais préféré qu’on construise deux salles de 1200 places chacune. Pour le jazz, le classique ou la variété, une salle de 6000 places, c’est trop. La proximité entre le spectateur et les musiciens est recommandée. Il y a un rapport intime. A partir d’une certaine limite, l’appréciation diminue», estime Mohamed Amirèche, enseignant d’architecture à l’université de Constantine et professeur de musique au conservatoire de la ville.
Conservatoire où beaucoup de jeunes apprennent la musique comme Yasmine Djebari, 15 ans. Elle a débuté en 2004, suspendu ses études avant de reprendre en 2010. Yasmine est passée du piano à la batterie. «C’est un instrument différent. Peu de filles jouent de la batterie. Je voulais donc me distinguer», a-t-elle dit. Elle souhaite avoir son propre groupe. Au Dimajazz 2011, Yasmine Djebari est montée, pour la première fois de sa vie, sur scène pour jouer de la batterie en accompagnant le groupe constantinois Illusion. Né en 2006, Illusion, qui veut être inscrit dans le registre du rock alternatif, a pris une autre dimension depuis 2009. Anis Chekireb au chant, Adem Aïssaoui au clavier, Yasser Blikez aux percussions, Karim Bezaz à la basse, Mehdi Mehnaoui à la guitare et Abdelkrim Mechâar à la batterie, le groupe est l’un des symboles de la nouvelle scène algérienne. Illusion a remporté le prix du meilleur groupe jeunes espoirs du concours Turbo Music de la Chaîne III de la radio d’Etat. Anis Chekireb, 29 ans, a décroché la distinction de la meilleure voix masculine nationale dans le même concours. Illusion, qui va aussi chasser sur les terres du blues, du jazz, de la funk et d’autres styles, a déjà des titres : Searching what I’m looking for, Sober truth, The waiting… Et sur son blog (http://www.myspace.com/illusionband25), le groupe va droit au but : «Cherche maison de disques.»
C’est tout le problème des jeunes groupes de musique qui font autre chose que du raï ou du diwan (gnawa). «Nous voulons produire notre album. Malheureusement, les producteurs en Algérie ne s’intéressent qu’à la musique raï. Aussi avons-nous des difficultés à en trouver», nous explique Sofiane Benteyeb, chanteur du groupe Oxygène qui vient de Skikda. Dans son répertoire, on trouve du gnawi, du alaoui, du châabi. «Nous prenons tout ce qui est reggae et on le mélange avec le patrimoine algérien», souligne Sofiane Benteyeb. Outre Sofiane, Oxygène est composé de Redouane Dorman, guitariste, Nordine Kahoul, soliste, Azzouz Driss, batteur, et Abdeladim Zinou, percussionniste. «Nous faisons nos propres compositions. La plupart des membres du groupe ont étudié la musique au conservatoire de Skikda. Nous évoquons les problèmes des jeunes. Le reggae nous facilite l’expression», note le chanteur qui écrit également les paroles des chansons. Le reggae a-t-il un large public ? «Oui !» répond sans hésiter Sofiane. En Algérie, les Jamaïcains Bob Marley et Peter Tosh ont toujours des fans.
Pour le plaisir
«Nous avons besoin de respirer, d’oxygène», ajoute Sofiane comme pour exprimer un profond désir d’air frais. Récemment, Oxygène a animé un concert à Béchar, à la faveur du Festival Diwan, et sera présent au Festival de musique actuelle de Guelma, qui se tient à partir de ce début juillet, et au Festival national de musique de jeunes d’Oum El Bouaghi. Le groupe Tey n’est pas encore sorti du Constantinois. Il a fait des prestations au palais de la culture Malek Haddad de la ville des Ponts et au Théâtre régional (TRC). Tey veut voir du pays ? «Oui, pourquoi pas ?» lance avec un large sourire Khaled El Hadj Halimi, chanteur du groupe. «Nous ne sommes pas encore professionnels. On joue pour notre plaisir», devait-il ajouter avec modestie. Tey est un groupe d’intellos : Khaled El Hadj Halimi (médecin), chanteur, Djallal Khelfi (architecte), à la guitare électrique, Mohamed Amine Zouaoui (architecte), à la basse, Mohcen Ouaffek (biologiste généticien), à la batterie. «D’abord et avant tout, nous sommes les meilleurs amis du monde. Nous avons grandi ensemble à la cité du 20 Août de Constantine. Djallal Khelfi nous a rejoints il y a quatre ans, mais on se connaissait avant déjà», explique Khaled El Hadj Halimi.
Le groupe animait des soirées entre copains de quartier autour de cacahuètes grillées et de thé à la menthe. D’où le nom «Tey» qui signifie thé en arabe parlé. «Nous avons interprété plusieurs genres. Nous faisons des fusions funk, rock et autres avec des paroles en arabe pour nos chansons. On raconte le vécu, la bureaucratie et les difficultés que rencontre le jeune Algérien. On évoque aussi les difficultés de la vie estudiantine et les retombées liées au chômage», souligne encore le chanteur qui précise que le groupe n’est pas à l’aise dans l’interprétation du diwan. Mohamed Amine Zouaoui et Khaled El Hadj Halimi écrivent les textes. Les deux ont une formation au conservatoire de Constantine. «Les autres musiciens ont appris sur le tas. Ils ont joué plusieurs genres. Avec le temps, nous avons amélioré notre jeu mais, avant tout, il faut aimer la musique», appuie Khaled El Hadj Halimi. Tey a achevé la composition et l’écriture de trois chansons et travaille sur d’autres titres. Le but est d’élaborer un projet d’album. «Nous attendons d’avoir un peu de moyens pour enregistrer et de trouver une maison de disques en vue de produire l’album. On ne s’attendait pas à faire cela, mais puisque cela plaît au public, autant continuer», souligne Khaled.
La relève de T34 ?
Les Algérois de Good Noise veulent faire du bon bruit. «Autrement dit, les vibrations de la jeunesse. Ce qui nous intéresse c’est ce que pense cette jeunesse et surtout la culture qui va avec. Nous faisons du rock algérien. Nous avons un riche patrimoine, des sonorités de fous, dans chaque région on trouve un timbre. Nous voulons introduire cela dans notre musique», explique El Mahdi Tahmi, manager du groupe. Good Noise veut sortir des frontières et exporter à sa manière le rock algérien. Selon El Mahdi Tahmi, la plupart des membres du groupe sont nés dans un bain musical. Par exemple, les frères Koceila et Massinissa Hadji (basse, guitare rythmique et chant) sont les enfants d’un ancien guitariste du groupe Rostomides d’Alger. Le batteur Brahim Aouchiche est le cousin des frères Hadji. Le père de Nacerdine Amrouche, un autre musicien de Good Noise, était aussi dans les Rostomides. Good Noise a été créé en 2001. Après une «petite» crise d’adolescence entre rock algérois d’influence châabi, le groupe opte, à partir de 2005, pour le heavy metal (du hard rock plus esthétique et plus radical).
Good Noise aspire à ajouter des mélodies orientales au heavy metal, ce qui fera, peut-être, son originalité. Le groupe entend aussi ajouter des sonorités pop. «Les musiciens ont galéré. Ils sont passés par les orchestres châabi et par les fêtes pour se faire un peu d’argent et acheter les instruments. C’est un groupe qui s’est battu. Nous avons des choses à dire, qu’on nous laisse faire», estime le manager. Khelini n’iich (laisse-moi vivre) est l’un des morceaux connus du groupe (Good Noise fait de la composition, l’écriture de textes, l’enregistrement et les clips). Il est question de drogue. Pour ce mois de Ramadhan, Good Noise a préparé des génériques-clips pour la série McDidine, diffusable sur l’ENTV. «Ramadhan sera rock !» plaisante El Mahdi Tahmi. Existe-t-il un public rock en Algérie actuellement ? «Par le passé, il y a eu les T34 (groupe de Khaled Louma, ndlr). Maintenant, il y a Good Noise. C’est la folie ! Dans nos concerts à Alger, c’est psychiatrique. Des jeunes viennent de partout assister et s’éclater», insiste le manager.
En 2010, Good Noise a produit un premier album, Mon imagination. «C’était du délire, des sonorités très rock. Cette fois-ci, on va faire plus de recherche sur les sons. L’album sortira à la rentrée ou au début 2012. Il est évident que ce n’est pas facile de produire un album», précise El Mahdi Tahmi qui a promis un album, des clips et une tournée pour le groupe. Good Noise a déjà pris part à un festival de musique en Turquie.
Le groupe Mazal de Béjaïa n’a pas encore voyagé mais a eu la chance de trouver un producteur pour sortir son premier album. «Le CD sera ces jours-ci dans les bacs. Il contient neuf titres comme Ifrikya et Adzayri avec des musiques variées. Il y a de la fusion du reggae, du blues, du kabyle, du turc», annonce Hafid Boulkaria, chanteur du groupe. Hafid Boulkaria, qui assure les compositions avec Younès Kati, batteur.
Nabil Mehdioui, ami du groupe, a écrit les paroles des chansons. Mazal, c’est également Hamza Besbès au saxophone, Farid Meceli à la guitare solo, Kheirdine Kati au banjo et au mandole, Brahim Medjebar à la basse, Nabil Aoudia au gumbri. «Nous venons de différents horizons. Chacun avec sa formation musicale propre, châabi, blues, gnawi ou autres. On se connaît depuis 1992. Nous sommes originaires de Timzrit. Nous avons créé le groupe. Des musiciens sont partis, d’autres sont restés. Notre début effectif remonte à 1996 avec des compositions», nous explique Hafid Boulkaria. Mazal a reçu des prix aux festivals de musique kabyle de Tizi Ouzou et de musique amazighe à Tamanrasset.
KOG, pour Karim, Omar et Ghenou, est un groupe constantinois constitué de musiciens entre deux âges : Karim Dellouche, Omar Bouhali et Ghenou Boukria. «Nous aimons le jazz et nous avons la chance d’être tous les trois des musiciens.
Cela obéit à ce que nous voulons faire. KOG est basé sur l’impro. De temps à autre, nous structurons nos compositions pour définir les thèmes. Le jazz est la musique de l’instant. Donc, on peut créer», explique Karim Dellouche, fondateur du groupe. Karim Dellouche est également artiste peintre. Il insiste pour que KOG garde sa formation actuelle. «Si je dois jouer avec d’autres musiciens, on dira Karim Dellouche en duo ou en trio avec… », a-t-il dit. KOG ne veut faire ni du rock ni du metal rock.
Le jeune Nadir Leghrib ou Nadir Nirvana, qui a assuré la première partie de la soirée de clôture du Dimajazz 2011, jeudi 23 juin 2011, refuse de s’enfermer dans un genre musical. «Je ne veux pas de cela. Je fais mes compositions à ma manière sans me soucier du style. Je fonctionne à l’instinct. Je cherche à véhiculer un message de paix, à parler des relations entre les personnes, de l’amitié, de l’amour», nous a-t-il déclaré avant son concert. Nadir est conscient que chacun «colle» un style à sa musique : «Certains disent que je fais du gnawa, d’autres du blues et d’autres encore du grunge… Peut-être que je vais l’appeler Leghrib ! La musique pour moi c’est du gosto.»
A ses débuts, Nadir Leghrib ne reprenait que les chansons des groupes rock américains de Pearl Jam, Alice in Chains et Nirvana. D’où le surnom qui lui a été donné par ses amis depuis l’âge de 14 ans. Nirvana fut à l’origine du grunge qui est une forme urbaine du rock alternatif marqué par un son saturé de guitare et des paroles vives. Forme qui plaît à Nadir Leghrib qui se contente jusque-là de sa guitare pour «tout» dire. «Mon père était batteur. Tout jeune déjà, je ne voyais que des instruments de musique. J’ai grandi dans cette ambiance», dit-il encore. Une rupture amoureuse en août 2006 amène Nadir sur les sentiers de sa propre composition musicale. «J’ai enfin su ce que je suis et où je vis. Mes yeux se sont ouverts», confie-t-il. Nadir Leghrib aspire à enregistrer un album avec un son authentique, vrai. «Pas de synthétique ou de musique soutenue par logiciels. Je veux faire quelque chose de naturel, de simple. Il suffit de trouver un producteur qui aime la musique…», note-t-il. Un débat national sur la relance de l’industrie du disque ne serait pas de trop…
Smoke ou le travail collectif
«Fumer» en français, «smoke», en anglais. C’est le nom de ce groupe constantinois qui existe depuis une année. «Nous avons fait des scènes à Constantine et à Batna. Cette participation au Dimajazz est importante pour nous. C’est un honneur pour nous», nous a confié, quelques minutes après le spectacle, Walid Bouzid, chanteur du groupe.
Smoke est composé de cinq musiciens : Tarek Bradaï, bassiste, Mohamed Aït Kaki, à la guitare rythmique, Skandar Bouhrour, à la guitare, Fatah Annabi, à la batterie, Mohamed Réda Benhizia, à l’harmonica. Hajar et Inès assurent le chœur. La plupart des musiciens ont appris seuls l’art de jouer les instruments. «Certains ont même appris à travers internet. On télécharge des vidéos, des sons et on fait des essais. Nous avons nos compositions. Nous travaillons pour composer une douzaine de chansons en vue d’enregistrer un album», a ajouté Walid Bouzid. Le groupe fait dans le blues-rock, l’oriental et un peu de psychédélique. «Nous voulons d’abord, nous adresser au public algérien. Nous préparons une chanson en langue arabe, Gouli gouli. Nous y évoquons les difficultés de la vie, celles de réussir dans notre société», appuie le chanteur. Smoke a été aidé par le très entreprenant Hassan Blikez, directeur du conservatoire de Constantine, qui leur a offert un local pour les répétitions. «Nous sommes fiers d’avoir fait tant de choses en une année !» a fini par lâcher Walid Bouzid. Skandar Bouhrour est à l’origine des compositions du groupe. « Et chacun, avec ses influences, blues, metal, rock ou autres, apporte sa touche à la composition d’origine. Un travail collectif », précise Walid Bouzid.
Atma, ces retrouvailles aux Castors
Des copains, d’abord. Des musiciens ensuite. Les Oranais Nadir Benmansour, chanteur, Yacine Khedaoui, guitariste soliste, Abdelhadi Boukamel, batteur, Réda Tiar, guitariste rythmique, Djamel Mouffok, percussionniste, et Mehdi Drici, bassiste, se sont réunis, depuis plus de cinq ans, pour former Atma. La plupart se sont connus à l’université d’Oran.
«Chacun jouait dans son coin. Après, nous nous sommes rassemblés pour former le groupe. Nous sommes des rebelles en quelque sorte. La plupart n’ont pas reçu de formation musicale. Nous avons appris sur le tas. Nous faisons tout à l’oreille», reconnaît Mehdi Drici. Les retrouvailles se font chez Réda Tiar, au quartier les Castors (El Makkari) pour les répétitions.
La centaine de centres culturels et de maisons de la culture en Algérie servent à «tout», sauf à permettre à des jeunes musiciens ou comédiens de se regrouper et répéter. Des centres culturels gérés comme des bureaux d’état civil ou, à défaut, d’atelier de couture de tabliers ! «On a aménagé le garage de Réda Tiar comme un home studio pour répéter et enregistrer. On se retrouve deux à trois fois par semaine», précise Mehdi Drici. Atma, qui signifie «profondeur spirituelle » en hindi, est un groupe de fusion : blues, jazz, rock, salsa, classique oranais, musique orientale.
« Nous essayons de toucher à tout en gardant le style Atma. Disons que c’est une base jazzy avec rajout de tous les styles. Un mélange oriental-occidental avec des paroles en français, en arabe et en anglais. Pour l’écriture, chacun son tour. Parfois, c’est Nadir, parfois c’est Yacine et parfois c’est Menouar Benzaza, ancien chanteur du groupe», indique Mehdi Drici. Atma a animé des concerts dans l’Oranais, à Alger et à Mostaganem. Le «Off» du Dimajazz 2011 était l’occasion de faire un premier déplacement à l’est du pays. Le groupe, qui a déjà dans ses bagages une douzaine de compositions, envisage d’enregistrer un album. Comme Oxygène et Illusion, Atma n’a pas encore trouvé de producteur.
Fayçal Métaoui
Photo © Souhil. B
EW 01 07 2011

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