DABY TOURÉ Ou l'incompréhension des derniers jours

Soeuf Elbadawi – africultures.com 22/10/2013
Parfois, l’univers des musiques du monde surprend par sa grande capacité à noyer l’audace des premiers de la classe. Apparemment, c’est le cas pour Daby Touré. Un as de la gratte. À la voix douce, délicate. À la pop agile, lumineuse. Aux compositions audacieuses, décalées. Au discours humble et posé. Il n’a surtout rien d’un parvenu. Fils de quelqu’un – on est toujours le rejeton d’une histoire – Daby Touré est sorti des dunes sahariennes pour débarquer en France aux côtés de son père, membre émérite des fameux Touré Kunda, à la fin des années 1980. Fils de, mais pas que, d’autant que ce père médecin, justement, n’encourage pas à pousser la chansonnette, le petit oiseau s’engouffre seul dans les bars à musique et en ressort avec les Touré Touré. Un groupe qu’il lâche aussitôt pour une aventure plus personnelle. Celle qui le mène à sa première galette solo, « Diam », signée chez Real World, la fameuse taverne du Père Gabriel.

Un succès international, suivi de deux autres opus, grâce auxquels l’animal s’affirme, sans concessions, tel un papillon migrateur, butinant entre deux eaux, toujours, passant d’un continent à l’autre, sans devoir, jamais, se signer devant les cases-frontières. Troubadour et nomade ! Deux mots qui résument toute une vie. Pour le reste, Daby est l’artisan d’une musique, on dira, à la tête perchée. Il se pique ainsi d’établir des ponts entre les îles et les déserts. Des terres à clichés certes, mais nichées au creux des cieux, entre rêves et fantasmes de solitude. « Toutes les îles, tous les Sahels/Avec ma guitare qui me dit/d’aller chanter là-bas ici/Fidèle aux vents de mes semelles ». Une référence rimbaldienne toute racée, avec des mots, du soleil et du vert, que l’on retrouve sur son dernier album, Lang(u)age, dont personne ne semble étrangement plus parler. On se serait pourtant attendu à la tournée des quatre coins du monde, surtout que Daby est d’une qualité rare une fois débarqué sur la scène. Lang(u)age aurait même pu être son offrande au pays d’adoption, cette France-carrefour de la sono mondiale, bouffeuse de discours sur la diversité. Un débat qui ramène hélas au postulat de départ, à savoir cette capacité que nous avons d’oublier ce qui nous évite des bleus à l’âme, y compris en musique. Raison pour laquelle nous parlons d’incompréhension des derniers jours. Car ce dernier album sonne tellement juste, dans ce « monde froid, où fer, geôle et or noir effacent tous les bons rois », qu’il aurait dû trouver son million de fans sans se fouler, à sa sortie.
Mais vouloir réécrire ce monde, « du haut de nos différences », et par-delà, pourquoi pas, n’est sans doute pas une mince affaire. C’est pourtant l’objet déclaré de cet opus. Ce fils du désert, ayant grandi « chez les autres », a dû d’ailleurs se sentir profondément open world, en le réalisant. Avec cette manière qu’il a d’entremêler les histoires, de digérer les influences. D’aucuns diraient qu’il joue au patchworkman. À l’écouter, il est vrai, on entend sauter, un à un, les repères, temporels entre autres. Une musique surgie de la fragilité des identités collectives, voire individuelles, mais qui promène son utopie à vue d’œil. La quête d’un langage fixant notes et partitions au seuil de nos portes en est le moteur. En français, en anglais, en arabe, en wolof ou en puular, s’il le faut. L’errance d’un fils du désert ne pouvait que mener à l’essence d’une vie, à force. Cette musique sent la thérapie d’un homme réinterrogeant son intimité, forgé dans les rencontres et les voyages. Une musique à vivre au présent, dans le sens où elle ne se noie, ni dans le marc de café (l’avenir), ni dans le ressassement (le passé). Elle s’inscrirait presque dans une geste postmoderne, sans les excès de faiseurs à bon prix, avec les pieds suspendus au vide. Mais peut-être faut-il nuancer quelque peu. Car l’artiste se revendique « pêcheur d’étoiles (…) et de nuages ». Ce qui rend sa musique aérienne, y compris lorsqu’elle feint la mélancolie et parle de désarroi dans « Angel ». Y compris aussi lorsqu’elle parle de pluie et d’amour. Une musique de la relation. D’où sa complexité et sa légèreté à la fois…

Daby Touré – Chez les autres en live dans le… par rtl-fr
Daby Touré, Lang(u)age (Polydor). Plus d’infos : [dabytoure.com]
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