Cette musique, apparue au siècle dernier, est entrée dans le troisième millénaire grâce à de nombreux fans qui la célèbrent et la perpétuent sur internet. Porteuse d’une culture citadine ancestrale, la musique chaâbie entre sans complexes dans l’ère du numérique.
De même que les mélomanes se rendaient jadis dans les cafés maures de la capitale pour découvrir les meilleurs interprètes, aujourd’hui les chaâbistes se donnent rendez-vous sur facebook ou youtube pour échanger les meilleurs enregistrements. Ainsi, le cybercafé prend le relais du café maure qui, à quelques rares exceptions près, a totalement disparu de notre paysage urbain.
Si l’on tape, par exemple, «El Anka» sur youtube, on découvre plusieurs centaines de vidéos du précurseur du chaâbi, décédé en 1978. En effet, le web n’a pas attendu la vogue d’El Gusto pour s’intéresser à cette musique encore très prisée par les jeunes d’Alger et d’ailleurs. Le forum du chaâbi (http://chaabi.super-forum.net) par exemple est actif depuis 2007 grâce à des passionnés qui annoncent en guise de slogan : «Du chaâbi on vit, du chaâbi on s’inspire et c’est avec le chaâbi que nos journées sont devenues paisibles et joyeuses».
Ce forum, ouvert à tous les internautes après inscription, invite les membres à partager leurs connaissances et leurs interrogations à propos des textes de qacidate et des termes obscurs de la langue du melhoun. Les chaâbistes y partagent également des vidéos et des sons, non seulement de chaâbi, mais également des genres voisins comme la musique arabo-andalouse (source d’inspiration du chaâbi), le malouf ou encore le chaâbi kabyle. Les enregistrements rares partagés en mp3 sont, quant à eux, réservés aux membres les plus actifs.
Des sites comme webchaabi.com proposent également de la musique en streaming et une web radio. La star des interprètes sur la Toile est sans doute Ammar Ezzahi, légende vivante du genre qui brille par sa discrétion. Sa page sur facebook regroupe plus de 80 000 fans et reprend une déclaration qui résume sa philosophie : «Je ne suis qu’un petit interprète de musique populaire». La page consacrée au regretté El Hachemi Guerrouabi (particulièrement bien animée) affiche 160 000 fans et celle de Hadj M’hamed El Anka dépasse également la barre des 100 000. Bref, les cheikhs passionnent les jeunes internautes.
Les âges des membres de la communauté chaâbie en ligne sont par ailleurs très variés et le web est loin d’être l’apanage des plus jeunes. On retrouve sur les réseaux sociaux certains artistes reconnus, encore trop rares, qui profitent de cet outil pour rester en contact avec leurs fans et échanger en toute simplicité. C’est le cas de Reda Doumaz, très actif sur facebook, qui partage non seulement sa musique, mais aussi ses coups de gueule et ses réflexions sur des sujets d’actualité.
Il existe également des pages facebook thématiques qui regroupent les passionnés de cet art. On peut citer à titre d’exemple le groupe intitulé «Hna fi hna… Les chaâbistes» (Entre nous… les chaâbistes). Un titre qui exprime bien cette propension des amateurs de chaâbi (de même que ceux d’autres genres dans le monde comme le jazz ou le flamenco) à se regrouper en happy few possédant le goût et le savoir de la «vraie musique».
En vérité, cette communauté est loin d’être fermée et le groupe compte d’ailleurs 70 000 membres ! Dans ce «grand fouillis» que peut être le web, les puristes regretteront que d’aucuns se présentent en spécialistes autoproclamés et propagent des informations approximatives. Mais cette absence de repères n’est pas totalement imputable au web. Bien que le genre tende à se restructurer, notamment avec le Festival national du chaâbi, la formation et la recherche ne permettent pas encore de séparer le bon grain de l’ivraie. Du reste, le conflit d’autorité est un sujet aussi vieux que le chaâbi.
De Saqi baqi à Sobhan allah ya ltif, les qacidate sont nombreuses à enseigner la modestie aux jeunes pousses qui se prétendent cheikhs. Avec cet outil qui donne le micro et la plume à tous, on trouve certes le meilleur et le pire, mais cette communauté très active nous confirme que le chaâbi a encore de beaux jours devant lui.
Walid Bouchakour
El Watan 19 08 2014
Du café maure au cybercafé : Chaâbi 2.0
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