Samir Ardjoum
El Watan 24 08 2012
« ma musique reflète ma vision des choses et des gens »
Devenu incontournable sur la scène musicale algérienne, et après avoir donné un beau concert lors du Ramadhan, Essi Moh revient sur son parcours déjà rempli.
Je suis issu du blues. Depuis quelques années, j’ai baigné dans cette musicalité qui m’est très chère. Je joue depuis toujours du blues. Maintenant, je suis très sensible à la musique traditionnelle algérienne, à son répertoire assez influent. Je suis né et j’ai vécu dans ce pays et c’est ici même que j’ai appris à jouer de la guitare. Je ne pouvais faire abstraction de cette musique du terroir qui m’a toujours accompagné sans pour autant s’immiscer dans ce que je voulais faire réellement. Puis, un moment dans ma vie, j’ai voyagé. C’est à cet instant que j’ai découvert d’autres modalités, d’autres styles, et ce résultat se trouve dans l’album. Le concert que j’ai donné à Alger récemment regroupe toute cette tonalité captée durant mes voyages, toute cette soul, funk, rock, ce reggae. Tout ce mix reflète ma personnalité. La musique que j’ai toujours voulu faire en somme.
-La musique a toujours été une évidence chez vous ?
Non pas vraiment. Au début, je pratiquais de la musique en amateur. A la fac avec des amis, on avait monté un groupe et on jouait le plus normalement possible. C’est durant mes voyages à l’étranger que je me suis perfectionné dans la «gratte». J’effectuais des «jam-sessions» avec d’autres artistes à l’ambiance variée et qui m’ont beaucoup influencé tels que Lucky Peterson, James Arthur ou Camille Duplessy. Mais l’idée de produire rapidement un album ne m’a pas effleuré de suite. J’aime prendre mon temps pour concrétiser les choses, découvrir de nouvelles sonorités et surtout aiguiser mon écriture. Il est impossible de créer l’œuvre parfaite, mais j’aspire à ne jamais renier mon perfectionnisme.
-Vous vous êtes finalement lancé dans un premier album (Zenjabile V2.0, 2010)
Oui c’est vrai… et même que je suis actuellement en studio en vue de préparer mon second album. Ce sont des projets que je concocte depuis maintenant deux ans. Cela me plaît assurément et je veux associer Karim Kiared dans cette entreprise, sans qui tout cela ne serait jamais arrivé. Nous avions coécrits les textes d’un premier EP et suite à un véritable engouement à travers certains festivals, Zenjabile V2.O a vu le jour. Essi Moh, c’est une équipe. Imaginez une grande bâtisse où chacun aurait ses raisons de s’y trouver. C’est la maison musique, celle du blues, d’un mix. Essi Moh ne signifie en rien que je serai le seul derrière les commandes. Je réfute cela. Essi Moh c’est pour tout le monde.
-Vous achevez l’avant-dernière chanson du concert avec cette phrase : «Je n’ai plus rien à perdre.» Serait-ce votre philosophie, celle du groupe ?
C’est exactement ça ! Nous sommes beaucoup plus dans «l’être» que dans «l’avoir». C’est ma conception du plaisir, du bonheur aussi. Ça peut vous paraître simpliste, mais c’est ainsi que je vois les choses. Par exemple le chaâbi. Je n’ai jamais eu la prétention de faire du chaâbi ni d’égaler les grands maîtres. Je respecte trop profondément El Anka ou Amar Ezzahi pour avoir l’outrecuidance de les dépasser. Et puis, ce ne sont pas mes prérogatives. Je continue d’explorer certains recoins de la musique, celle qui sans doute m’aspire à développer d’autres aspects de ma personnalité. Le jour où j’arrêterai d’évoluer, je bazarderai la musique. J’aurais plus goûts à rien. Donc, je préfère «être» qu’avoir quelque chose pour me sentir bien. C’est ce que j’insuffle dans ma musique.
-Pour «être», il faut parfois se faire violence. Ne pensez-vous pas que la timidité, la vôtre, pourrait déréaliser vos envies ?
Je ne le pense pas. Ce que vous avez entendu reflète exactement la manière dont je perçois les gens, la société, la vie. Il peut y avoir parfois des moments d’hésitation, des choses que vous pourriez associer à de la timidité, alors que c’est tout simplement ma vision des choses. Sans être dans le moralisme bien évidemment. Vous trouvez que je suis timide ?
Lors du concert, excepté le titre Laroussa, on sentait – à tort ?– que vous étiez enfermé dans votre musique, comme si vous aviez du mal à exploser, d’où cette violence trop discrète.
Peut-être, mais je ne me sens pas forcément enfermé. C’est une suite de choses sans doute difficiles à retranscrire en paroles, mais qui passent par des moments hésitants, des bouts d’essai où je me recherche. Comme si vous arrachiez certaines pages d’un livre, il y a des incohérences, mais cette maladresse décrit aussi le sentiment que je peux avoir au moment où je joue. Surtout devant un public algérien, incroyablement exigeant !
Bio express :
Fou de musique et de voyage donc de sonorités décalées et intemporelles, Essi Moh s’est rapidement trouvé une âme de Guitar Hero, affichant un blues lancinant et sensuel accouplé parfois avec le bluegrass des Creedence Clearwater Revival ou bien le reggae torride de Bob Marley ou de Pete Tosh (pour le texte adorablement violent).
Des bancs de la fac de Babez où il s’initie à la «gratte» aux paysages du Maghreb ou du vieux continent (France, Norvège, Tunisie, Algérie, Turquie) où il accompagne des artistes divers tels que Karim Albert Kook, Amar Sundy, Samira Brahmia, Karim El Gafla, James Arthur ou Lucky Peterson. Guitariste de session dans un premier temps, Essi Moh va très vite produire son premier album qui verra le jour en octobre 2011 (Ed. Essi Moh). Le prochain album sortira en 2013.