Festival Gnaoua: Des Souiris et des hommes

Le Festival Gnaoua Musiques du Monde a célébré quatorze ans d’exaltation, mais aussi de tourments. Financé à 90% par le privé, l’événement phare d’Essaouira doit désormais compter sans l’un de ses plus gros sponsors. Reportage.
Mustapha Baqbou savoure ses pensées et sa solitude, un peu comme Zarathoustra. Son air d’ermite, grave et distant, il vous le flanque à la figure. Mais pas les secrets de son art. Contrairement à Zoroastre, le maâlem est tout sauf un prêcheur.
«Tagnaouit doit beaucoup à ce festival. Notre musique est préservée, appréciée de tous», reconnaît celui qui a «fusionné» avec rien moins que Pat Metheny, Carlos Santana ou Louis Bertignac. Ce vendredi 24 juin, Mustapha Baqbou, 58 ans, croise le guembri avec Tigran Hamasyan, 23 ans. «C’est mon premier concert avec un maâlem, exulte le virtuose arménien du piano. Les rythmes et les mélodies gnaoua sont sublimes. Pour le musicien de jazz que je suis, un océan de possibilités s’ouvre». Pour Mustapha Baqbou, c’est une tournée qui commence après le festival. «Une lila, une vraie, que j’anime début juillet à Toulouse, avec douze «koyo» (apprentis). Ensuite, nous nous envolons pour Bruxelles». Le maître gnaoui s’exporte bien. Ses disques, en revanche, beaucoup moins. «Le piratage ruine la musique et les musiciens. Quel producteur est assez fou pour enregistrer des albums si les gens préfèrent acheter des copies illégales ?».
Maâlem Baqbou craint que les plagiaires n’anéantissent l’héritage gnaoua. Il redoute aussi ceux qu’il appelle avec dédain Heffad’t L’Kassit, ces massacreurs qui se contentent d’écouter des «cassettes» avant de tutoyer les crotales. «Pour apprendre l’Herfa (le métier), il faut écouter son cheikh, le vénérer, sillonner le pays, rencontrer des maâlems d’autres écoles, rouler sa bosse». Ainsi parlait maâlem Mustapha Baqbou.
Ouled Mogador, la nouvelle scène
Préparer la relève, les bâtisseurs du Festival Gnaoua Musiques du Monde y ont justement pensé cette année. A quelques pas de Bab Sbaâ, dans un coin du jardin Bin Al Aswar, a été érigée une nouvelle scène, dédiée aux jeunes d’Essaouira. Oulad Mogador a ainsi tremblé sous les trépignements de seize groupes de musique Gnaoua, de rap, de danse et de percussions. «Les plus doués sont coachés par Fara C., une critique musicale de renom qui écrit pour l’Humanité et Jazz Magazine», s’enorgueillît Neila Tazi.
La directrice du festival connaît le marasme des musiciens débutants. «Avant de se payer le luxe d’un agent et d’un attaché de presse, les jeunes artistes sont très souvent livrés à eux-mêmes. Ils doivent donc apprendre à charmer seuls leur public et à valoriser leur travail auprès des journalistes».
Qui sait, peut-être grimperont-ils un jour, comme maâlem Baqbou et Tigran Hamasyan, au sommet du «Borj», cette toute nouvelle scène du festival, qui n’est autre que l’ancestral bastion Bab Marrakech, dressé à la fin du XVIIIe siècle, longtemps abandonné et bientôt complètement restauré. «Mogador manque cruellement de lieux de spectacles vivants, se désole Neila Tazi. Cette bâtisse sera donc une bouffée d’oxygène pour les Souiris. Tout au long de l’année, elle abritera festivals, expositions, conférences et activités pour enfants. Grâce au Borj, une nouvelle dynamique culturelle sera créée».
Une manière sans doute aussi pour le festival de se revivifier. Car après quatorze années d’une existence trépidante, Gnaoua Musiques du Monde est quelque peu hors d’haleine.
A la recherche d’un nouveau souffle
Les organisateurs avouent peiner à chaque édition, faute de soutien. «Un gros sponsor international nous a récemment lâchés, se plaint la directrice. Nous ne pouvons plus être à la merci de ces situations qui nous font chaque année reprendre à zéro, qui nous empêchent de penser long terme», poursuit-elle. Elle invoque les 400 000 férus de musique, de liberté que le festival attire, et, avec eux, des retombées économiques indéniables. Elle rappelle les entrées touristiques record engrangées en quatre jours par la ville, alors que le taux d’occupation des hôtels dépasse rarement les 26%, en moyenne, pendant l’année. Pour toutes ces raisons, martèle Neila Tazi, ce festival mérite d’être davantage soutenu.
Sana Guessous. La Vie éco
www.lavieeco.com
2011-07-04

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