Du 12 au 15 juin, la ville d’Essaouira au Maroc a accueilli la 17e édition du Festival Gnaoua et des musiques du Monde. Nous avons suivi ce rendez-vous qui a amené la tradition musicale marocaine sur scène et lui a permis de fusionner largement avec d’autres musiques.
Déjà venu en 2007 sur ces bords de la côte Atlantique, Bassekou Kouyaté a eu les honneurs d’Essaouira. Il y aura d’abord eu un concert magique, tard dans la nuit de vendredi, et puis un dimanche qu’on n’est pas prêt d’oublier. “La musique gnaoua, c’est un peu la musique des chasseurs au Mali ou la musique des peuls, estimait l’ancien protégé d’Ali Farka Touré, quelques heures avant de monter sur scène. La première fois que je suis venu ici, j’ai cherché à savoir quels étaient les liens entre le ngoni et leguembri et on m’a dit : ‘Mais Bassekou, il y a 300 ans, les esclaves qui ont remonté vers le nord du Mali, c’est eux qui ont amené le guembri !’ Ici, on l’appelle guembri, mais au Mali, il porte plusieurs noms, selon les ethnies. Chez nous, dans le Segu, c’est le ngoni, mais ce sont les mêmes instruments… “
Il fallait voir le grand Bassekou accompagné “de sa famille” et d’une dizaine de musiciens pour bien comprendre la force de ce dialogue inter-Afrique. Se mettant en première ligne pour ses solos ou amenant les autres dans la lumière, celui qui a révolutionné son instrument a tracé des ponts entre la tradition de son pays et celle du Maroc. “Je me sens chez moi au Maroc, on est toujours en Afrique. Je joue avec ma femme, mes enfants, mon frère, mon cousin, mais avec Monsieur Kasri, on a formé une famille élargie. On ne se connaissait pas, on s’est vu seulement une journée mais la connexion s’est bien faite. Parce que c’est un Africain et qu’en Afrique, c’est comme ça…” poursuivait le même Bassekou.
La fusion des musiques
Pour cette édition, on aura ainsi assisté à des rencontres entre le pianiste martiniquais Mario Canonge, le violoniste Didier Lockwood ou le bassiste Marcus Miller et différents Maâlems (les maîtres gnaouas, NDLR).Bamako- Essaouira, Fort-de-France-Essaouira, Essaouira-on ne sait trop où. Depuis sa création, en 1998, la particularité du festival Gnaoua est la fusion entre une musique traditionnelle arrivée au Maroc par les esclaves noirs et des grands musiciens venus d’un peu partout dans le monde.
“Au départ, les Gnaouas jouaient plutôt dans les rues, ils mendiaient, c’était comme des gitans, en fait, indique Neila Tazi. Et quand on a démarré le festival, ils n’étaient pas conscients de ce dans quoi ils s’embarquaient. Petit à petit, les fusions ont permis à certains de maîtriser l’art de la scène, mais d’autres sont toujours programmés dans de petits lieux, dans des lilas (la nuit rituelle, NDLR) plus traditionnelles.”
A la lisière de son souk fumant de sardines, de merguez, de brochettes de poulet grillées, Essaouira présente aussi un aperçu plus large de cette culture passée par la grâce de son festival, des processions itinérantes à la scène. Au plus près d’un public assis sur des tapis, les Gnaouas chantent, jouent des crotales, dansent et le dialogue des Maâlems évoque bien les origines spirituelles, voire ésotériques, de leur art ambulant.
“Tout le répertoire traditionnel marocain n’est pas une musique de scène, le concept même de festival au Maroc est quelque chose de très récent. Notre culture est celle des moussems, nos fêtes foraines, c’est-à-dire la rencontre des villageois dans une fête agraire où la musique est produite en plein air”,observe le musicologue Ahmed Aydoun, qui a réalisé une anthologie de la musique gnaoua.
Dimanche, c’est donc de cette histoire de l’Afrique en mouvement que le concert de Bassekou Kouyaté avec le Maâlem Hamid El Kasri, était chargé.
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3 questions à Mario Canonge : “Comprendre la musique gnaoua”
Le jazzman martiniquais Mario Canonge a partagé la grande scène du festival d’Essaouira, avec le Maâlem Kouyou. Rencontre à chaud, vendredi 13 juin, juste après son concert.
RFI Musique : L’impression qu’on a eue en vous voyant sur scène, c’est celle d’une grande joie…
Mario Canonge : D’abord, il y a eu cette première partie où j’ai joué mes morceaux, en trio. Quand on est comme ça, en petite formation, c’est vrai que je plus l’habitude des salles plus petites que des grandes scènes d’un festival. Et puis, il y a cette deuxième partie, où nous avons partagé la scène avec le Maâlem Kouyou et les Gnaouas, et avec eux, il y a eu je crois, des instants magiques, de transe, tant cette musique a quelque chose de spirituel. Elle est dans une rythmique hors d’âge qui vient du fond des temps.
De quelle façon arrive-t-on à une alchimie entre le piano de votre jazz caribéen et les crotales ?
Par l’écoute, par le fait d’entrer en communion avec les musiciens. Ensuite, on se laisse aller jusqu’au moment où on arrive tous sur le même bateau et qu’il voyage. Pour moi, ce qui était important, c’était de comprendre comment ça marche, sans imposer notre façon de voir les choses, de me fondre dans la compréhension de cette musique. Même s’il y avait cette notion d’improvisation, c’était le contraire d’un bœuf où chaque musicien se met en avant à moment donné.
C’est la première fois que vous donnez un concert au festival gnaoua. Comment avez-vous découvert cette musique ?
J’avais déjà entendu parler de cette musique grâce à Karim Ziad (l’un des programmateurs du Festival Gnaoua d’Essaouira, NDLR), qui a fait beaucoup pour qu’on la connaisse à Paris. Mais l’entendre sur disque, c’est une chose, et jouer avec les musiciens sur scène, c’en est une autre. C’est une expérience qui nous pénètre, qui nous transporte, qui nous élève. En plus du festival, il y a cette ville, qui est un décor pour les Mille et une nuits, et je remarque aussi qu’il y a tout un mélange de cultures, il y a des gens qui viennent de partout et tout se fait dans un esprit assez ouvert. Essaouira, ça peut être une leçon pour énormément de choses qui pourraient être plus politiques mais je m’arrête là…
Site du Festival Gnaoua et des musiques du Monde