HAMID BENAMRA "S'il faut attendre des semaines pour voir un film et bien qu'il le soit ainsi"

Hamid Benamra est un cinéaste algérien. Son dernier film, Bouts de vies, bouts de rêves, est sélectionné dans la compétition officielle « Documentaire » au Fespaco 2013

Via de-marchefilmique.blogspot.fr

Si tu devais donner une définition personnelle de la cinéphilie, quelle serait-elle ?
C’est un lien et un attachement, un coup de foudre, un état d’hypnose, avant d’être une connaissance de filmographies ou une liste de films de chevet. C’est ce fil si fin qui me lie à l’écran, ce spectre lumineux qui dessine sur la surface blanche des visages que je crois les miens. C’est cette fête des ombres et des contrastes dont l’écho traîne encore dans ma mémoire. Ce sont ces petites pièces de monnaie qu’on amassait le jour de l’Aïd pour aller les miser sur une affiche dessinée à la main d’un film Indien. C’est ce trouble qui fait bégayer mon cœur au moment où l’héroïne cueille dans un contre-champ le baiser de son amoureux. C’est la fascination de cet espace blanc qui peut absorber toutes les images du monde. Je regardais souvent l’écran vide, juste avant la séance, pour y projeter mes propres rêves. Je me faisais mon petit court-métrage avant le long.
Y a-t-il un film ou plusieurs que tu revois par nécessité ? Si oui, quelle en est la raison ?
Le film que je n’ai pas fait encore, je le vois et revois dans ma tête de façon obsessionnelle.  Voir n’est pas souvent face à une « lucarne ». Voir et percevoir un plan dans sa tête maintes fois et même en boucle, en parcourir les contours, en examiner la densité de sa lumière et humer ses couleurs, pour en faire une pièce nécessaire au gigantesque du puzzle qui s’enfile au fur et à mesure de l’inspiration. Je ne cherche pas à revoir un film, mais quand ça se présente, je joue le jeu et me fais croire de le découvrir. J’y arrive pour quelques instants pour me donner la sensation que je devine la suite et me faire croire que je suis dans le secret de son auteur. Revoir un film ou parfois une séquence en boucle me fait sentir la musique interne d’un « réal » et j’arrive parfois à capter l’intention d’un plan ou d’une lumière. J’aime sentir qu’un cadrage n’est pas aléatoire et qu’une séquence est faite sans concession. Mais cet exercice devient vite « masturbatif » quand je commence à intégrer mes propres « éventuel » plans. Dans ce cas, je ne regarde pas, je refais le film de l’autre. Fatiguant. Revoir des bouts de films de Chaplin devient brusquement une raison émotionnelle car il me renvoie vers la découverte du cinéma en classe. J’ai vu des films burlesques avant de voir l’image de la télé qui me paraissait sale et trop petite. J’avais l’impression que c’était un jouet imitant le cinéma. J’avais 5ans. Oui précoce ! J’aime que le film me piège mais je ne cherche pas à me mettre dans une situation nostalgique. La quête du passé ne me passionne pas trop. Très souvent, je suis déçu en revoyant un film qui m’avait impressionné à un moment. Je ne citerai pas de titre car ce serait celui qui correspondra au moment de la réponse. Dès que cet entretien sera publié, le titre en question deviendra un autre film. Les images se bousculent trop dans ma tête !
Internet est devenu une source importante d’informations, voire obligatoire pour (re)voir des films anciens ou récents. Aujourd’hui, comme développes-tu ta cinéphilie ?
Le net est un fourre-tout, un piège de zappeur, un traquenard, une drogue…Elle est entrain de détruire mon rapport avec le mode narratif d’un film. Avec le curseur, tu avances dès que la séquence ne te convient pas et tu recules dès que tu as raté un plan. Cette façon de voir n’est pas saine et absolument pas respectueuse d’une œuvre. L’étalage et l’abondance des images polluent ma virginité et nuisent à mon fil conducteur personnel. Je sais que je vais mettre fin à cette pratique malsaine très vite. Mais je suis dans l’état du fumeur qui examine chaque fois sa cigarette en croyant vraiment qu’elle sera la dernière. Je faisais comment avant ? S’il faut attendre des semaines pour voir un film et bien qu’il le soit ainsi. Un film était un cadeau, un conte, une rencontre avec un monde. C’est devenu une curiosité qu’on aborde avec  un jugement près conçu. Mais je n’ai pas besoin de revoir ou de voir des films pour entretenir le cinéma qui habite mon imaginaire. Je ne cherche pas à être dans le « mouv’ » ou dans le coup. Etre à la page c’est faire ce qui me ressemble. Le style c’est le miroir de soi.  L’authenticité  d’une œuvre n’est pas le fruit d’une consommation frénétique des œuvres des autres. Mon cinéma ne se nourrit pas de cinéma mais d’amour. L’amour du mouvement avec mes 40ans de pratique de karaté. L’amour des femmes qui ont façonné ma sensibilité et qui continue à le faire. L’amour des autres arts, l’amour de la cuisine du monde. Je développe mon cinéma en développant mes capacité d’écoute, en développant mon rythme cardiaque, en apprenant à respiré juste. Le cinéma, c’est un mode de vie. Vivre sainement. Faire un film est un partage. Un cinéaste n’est pas un porte-parole d’une tribu, d’un clan ou d’une religion.
De quelle manière « digères-tu » un film ? L’écriture, la parole avec ton entourage, etc etc
Je suis un bon cuisinier dont le coup de fourchette est suffisamment habile. Manger sainement est un acte respectueux de son corps et par ce fait de son esprit. J’applique cette démarche sur tout le reste. Voir trop de films pollue parfois la teneur de ma poésie. Je suis bavard mais je n’aime pas la parlote. Mâcher et remâcher un sujet est un sport que ne pratique pas. Un film me nourrit quand il est d’une sensibilité raffinée, et m’apprend ce qu’il ne faudrait jamais faire quand il est dissonant. Je suis un bon élève, j’attends que tu m’impressionnes mais gare à toi si ton effet est banal. Je ne suis pas un consommateur insatiable de films pour pouvoir donner un avis intéressant sur la digestion dans le cinéma. Au fait, je n’aime pas ce terme « digérer ». Je n’écris pas sur les films des autres ni sur les miens. J’ai du mal à faire mes synopsis. Je n’écris pas de scénario, a peine quelques notes. Mais parler d’un film est un moment agréable quand l’interlocuteur possède le même alphabet et la même grammaire. Je ne supporte pas les débats. Je ne fais jamais de débats, mais des rencontres. J’aime entendre quelqu’un parler d’un film sans être obligé de le contredire même si la faille est visible par moment. Ce qui compte, c’est la vision de l’autre, pas de gagner la joute. L’important c’est d’avoir une autre vision du même sujet car je n’ai pas envie d’exister en plusieurs exemplaires. Cependant, quelque soit la taille de l’écran, seule la densité de son contenu compte. Je ne suis pas un fanatique des salles luxueuses. Le seul luxe dans le cinéma, c’est d’être libre de voir les images qu’on désire.
Dans un ancien article publié dans les Cahiers du Cinéma n°293 (octobre 1978) et intitulé « Contre la cinéphilie », le critique de cinéma Louis Skorecki écrivait : « La télévision est le dernier endroit où quelque chose de la lucidité hallucinée de la cinéphilie d’hier est encore possible ». Ta formation cinéphile s’est faite par le biais de la petite lucarne (programmes TV et/ou VHS-DVD) ou des salles de cinéma ? Et que penses-tu de cette citation de Skorecki ?
C’est très savant pour moi ce genre de citation. Mais, ‘ai appris le cinéma en regardant la télévision algérienne. J’ai appris très vite ce qu’il ne fallait jamais faire. C’est encore une bonne école, même très bonne. Je préfère la citation d’Umberto Eco : « La télévision rend les abrutis intelligents et abrutit les gens intelligents ». La fascination du cinéma Russe, la découverte des cinéastes soviétiques des années 20… Le rapport à l’image est plus important que les images.  La découverte de Sergio Leone et les entrées et sorties du champ. Capitale ! Le temps psychique d’une séquence. L’économie du dialogue. Un cinéma de grande gueule. Le choc Hitchcockien et la perception du style. La marque de fabrique avec juste deux ou trois plans,  tu sais dans quelle planète tu navigues. La revue de cinéma « Les deux écrans » était un espoir, une flamme lumineuse dans mon quartier « La Glacière » (quartier d’Alger). Elle coûtait 5 dinars en arabe et en Français. Djamel Eddine Merdaci, Mouny Berrah et l’édito de Abdou B. Une euphorie, une ivresse était possible. Merci ! La cinémathèque d’Alger et l’inclassable Boudjemaa Karèche. Une programmation riche et surprenante et des rencontres avec quelques dinosaures comme Ettore Scola…et un miracle, celui d’un putain d’amour « MAJNOUN » (un fou) pour le cinéma. L’objet filmique était plus sacré que mes prières du soir. Le cinéma était une raison d’être, un cheval de bataille.  La télévision de nos jours est une fabrique de star à la chaîne. Le concept « Star’Ac » et ses clones ont détruits les vrais rêves pour engendrer qu’un seul. Celui d’être star à tout prix même sans talent et même avec rien. Et ça marche…La télé est la nouvelle arme de propagande qui fait et défait les états. Etre ou ne pas être vu à la télé ! C’est ça le piège. Mais avons-nous le choix ? Si je n’y vais pas je vais laisser la place aux arrivistes. Donc j’occupe la place dès que je peux.
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