Café de la Danse le 28 janvier 2010
5 passage Louis Philippe, Paris 11°
Sortie de son nouvel album « SMAA SMAA » aujourd’hui 25/01/2010
Chez Lusafrica distribution Sony
Hasna El Bécharia est une exception. Elle reste la seule femme du Maghreb à jouer de la musique gnawi, un rythme de cérémonie pratiqué exclusivement par les hommes, depuis que les croyances animistes du bilad es-Soudan, le pays des Noirs, en arabe, la Guinée, le Sénégal, le Mali, le Niger, le Tchad actuels, ont rencontré la foi monothéiste de l’islam venue de l’autre côté du désert. Cela lui a valu bien d’exclusions, de sarcasmes. Mais Hasna ne put extirper de sa tête, de son âme ce tempo obsédant, cette transe mystique acquise auprès de son père, homme pieux et lui-même maâllem, maître du syncrétisme gnawi (gnawa au pluriel), ce soufisme noir forgé par les descendants des esclaves sub-sahariens en Afrique blanche, qu’on appelle aussi diwan dans l’Est algérien ou stambali en Tunisie.
Tout Maghrébin a entendu plus d’une fois, le swing entêtant de ce vaudou musulman scandé par le guembri, une basse archaïque à trois cordes en boyau traditionnellement, et les qraqeb, qarqabou, crotales, grandes castagnettes en métal, animant toute une lila, nuit, pour délivrer les hommes et les femmes de leurs tourments, chasser les djinns qui les déchirent, s’allier les mlouk, les esprits qui les possèdent. Hasna El Bécharia, elle, est restée possédée par cette musique extatique qu’elle compose sur un guembri, une guitare acoustique ou électrique – le rock est aussi passé en Algérie dès la fin des années 50. On dit que Hasna a adopté la guitare électrique pour mieux se faire entendre pendant les concerts où le public couvrait sa voix en reprenant ses chansons.
Elle a aussi étalé son registre à des genres plus profanes, populaires où la dévotion n’est jamais loin à l’exemple de cet album imprégné par le culte et le don de soi. Hasna se donne entièrement à la spiritualité, une ferveur accomplie dans un langage contemporain. Elle approfondit son langage, entamé dès 2002 avec son premier disque, Djazaïr johara (Algérie pierre précieuse), réalisé à sa cinquantaine à Paris et bien accueilli alors qu’elle venait d’Algérie en janvier 1999 dans le cadre du festival Femmes d’Algérie au Cabaret Sauvage, révélateur aussi de la jeune Algéroise Souad Massi. Hasna quitte ainsi définitivement un pays natal obscurci par la guerre bestiale et confuse entre les islamistes armés et l’armée des généraux qui ont confisqué les richesses d’une terre prometteuse à peine libérée du colonialisme français en 1962. Hasna El Bécharia, comme son pseudo l’indique, est née à Béchar (anciennement Colomb-Béchar), métropole stratégique du Sahara algérien, ville de garnison dès l’occupation française, à un appel de muezzin de la frontière marocaine, carrefour entre les deux Afrique, à un millier de kilomètres de la Méditerranée. Hasna n’y grandit pas comme les autres femmes. Elle est folle de musique et aime les pauvres, les exclus. Elle accueille les épouses jetées avec leurs enfants dans la rue par des maris en quête de nouvelle vie et confortés par un « code de la famille » ignomineux. Hasna, elle, se sent libre, sort le soir, fréquente les marginaux, dans une ville de province percluse de traditions étouffantes, écrasée par le qu’en-dira-ton. El Bécharia n’en n’a cure et vit sa vie de femme sans entrave, pratiquant sa musique selon son envie, menant son train de vie comme elle l’entend.
Dès 1972, les autres femmes lui font appel pour animer les fiançailles et les fêtes de mariages de leur progéniture, admiratrices muettes et secrètement envieuses de cette vie courageuse, sans concessions. Elle est accompagnée par trois copines aux chant et percussions. Ses paroles soufflent le sable sur le rigorisme hypocrite, sa musique renverse les rigueurs de la tradition. Déjà qu’une femme jouant de la guitare électrique constitue au Maghreb chose rarissime, presque perturbante. Une singularité que Hasna El Bécharia double par son insoumission au conservatisme des hommes tout en assénant son mysticisme, son invocation des walis, marabouts, saints de l’islam populaire implorés surtout par les femmes pour alléger leur quotidien. Tout au long de ce nouveau disque, Hasna prie la grâce de ces sidi, ces monseigneur, aux noms évocateurs, El Bachir, Ben Bouziane, Abdel Rahman, Abdallah, Abdallah Ben Aïssa (Jésus), Moussa (Moïse), Moulay Ibrahim (Abraham), sans oublier Bilal, l’Abyssin, esclave affranchi par le Prophète, premier muezzin de l’islam et saint patron de tous les gnawa. Hasna chante d’une voix paisible, grave, presque mâle cet album où la cadence gnawi reste puissante mais se conjugue à deux chaâbi (populaires).
Deux genre des pays qui font la culture de la région de Béchar, Algérie et Maroc. Une douzaine de chansons ponctuées souvent par une guitare cristalline, un violon gémissant, une composition moderniste qui valorise, actualise un art ancestral. La transe de Hasna mêle aussi dans un même élan deux passions, l’ardeur divine et l’amour terrestre, puisque chez les soufis l’adulation des êtres est aussi adoration de leur Créateur. Dès l’entame de cet album, Hasna El Bécharia chante « Ecoute, écoute/Il y a de quoi entendre ». Il faut écouter sa providentielle invitation.
www.myspace.com/hasnaelbecharia
Retrouvez Hasna El Becharia sur RFI dans l’émission de Laurence Aloir, Musiques du Monde, le 13 février.
HASNA EL BACHARIA à Paris le 28/01/2010
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