Les Gnaoua de Marrakech et d’ailleurs

Abderrazzak El Qarouni – 08 Octobre 2013 http://www.lemag.ma

Le cercle des Gnaoua est le plus important des cercles d’origine confrérique qui se trouve sur la place de Jemaâ El-Fna. Son importance réside dans le fait qu’il possède un grand nombre de spectateurs qui sont, dans leur majorité écrasante, des touristes.

Les Gnaoua sont les moteurs de la place, diffusant un bruit infernal,  rythmé et diaboliquement soutenu en cadence. Ils sont souvent des hommes noirs, vêtus de blanc et coiffés d’une toque rouge couverte de cauris et munie d’un gland qu’ils font tournoyer au rythme des percussions de leurs instruments de musique à savoir le guenbri, les crotales et le tambour. C’est leur danse acrobatique qui charme et amuse le plus les touristes.
Ces Gnaoua de Jemaâ El-Fna sont les adeptes de la confrérie qui porte le même nom, essentiellement fixée à Marrakech et constituant avec celles des Aissaoua et des Hmadcha, les trois grandes confréries religieuses du Maroc. Ils effectuent leurs pèlerinages à Sidi Chamharouch, Sidi Abdellah Ben Hsayn et Moulay Brahim, trois sanctuaires maraboutiques vénérés par tous les Gnaoua du Maroc qui se trouvent dans la région de Marrakech.
Le mot « Gnaoua » est le pluriel de « Gnaoui » qui signifie, sous une forme contractée et arabisée, habitant de la Guinée. Cette explication ne rallie pas tous les suffrages. Une autre thèse fait dériver ce mot de « Djen » (diable).
Quoi qu’il en soit, les ancêtres des Gnaoua seraient les Peulhs, les Maliens et les Songhaïs qui avaient formé l’armée noire du Sultan Alaouite Moulay Ismail, connue sous le nom de « Abid Al-Boukhari » (Esclaves Boukharis). Ce Sultan avait constitué cette armée sur proposition d’Omar Ben Kacem Alilch qui connaissait les noms et le nombre des noirs que le Sultan Saâdien Ahmed Al-Mansour Ad-Dahbi avait fait venir du Soudan. Aussi avait-il commencé sa création lors de sa résidence à Marrakech.
5936091-8846172Le fondateur de la confrérie des Gnaoua est, dit-on, Sidi Bilal Al-Habachy, esclave abyssin converti à l’Islam à l’époque du Prophète Sidna Mohammed, que la paix et le salut de Dieu soient sur Lui, et qui était muezzin de la mosquée de Médine. Le répertoire des Gnaoua est fondamentalement religieux. On peut l’entendre à Jemaâ El-Fna et particulièrement au cours des séances d’exorcisme des possédés, appelées « Derdba » et organisées par les voyantes (Chouafat) de Marrakech. Ces Gnaoua rendent un culte aux diables et leurs offrent des sacrifices, entre autres des volailles, des chèvres et des boeufs. Ils se mutilent avec les métaux et le feu.
Lors des séances de Derdba, ils invoquent la diablesse Aicha Kandicha sous le nom de Lalla Aicha en exécutant un air emprunté au répertoire des Hmadcha. C’est Aicha Kandicha qui lie les Gnaoua aux Hmadcha et les protège des métaux et du feu. Par ailleurs, tous les Gnaoua qui se mutilent ont des rapports avec les métaux et le feu. Ils sont souvent forgerons, bouchers ou coiffeurs pratiquant la circoncision.
Dans leurs chansons, ils invoquent les Sbaâtou Rijal (Sept Hommes) de Marrakech et les saints de sa région. C’est le cas de cette chanson:
– Moulay Bousalham, Ô Oiseau des montagnes, Ô les Sept     Hommes,
–  Moulay Brahim,
– Moulay Abdellah Ben Hsayn,
J’attends devant ta porte, tu donnes du pain sans peine, je t’implore   Ô Ait Omghar.
La musique des Gnaoua repose sur trois instruments de base, un instrument à cordes, le Guenbri et deux instruments de percussion, les crotales et le tambour:
Le Guenbri ou Hajhouj ou encore Santir. C’est un instrument à cordes ressemblant à une guitare rectangulaire, muni d’une caisse de résonance recouverte, en général, de peau de chameau avec trois cordes faites de boyaux de chèvre, et doté d’un long manche qui se termine généralement par une large feuille mince de fer blanche, ornée d’anneaux métalliques.
Pour apprendre à jouer du Guenbri, les Gnaoua sont conseillés  de visiter le mausolée de Sidi Jaber qui se trouve dans le quartier de Kachich à Marrakech. Ce saint est souvent appelé « Sidi Jaber Moul Lgnaber » (Sidi Jaber, le maître des Guenbris). Pour le même but, ils font un pèlerinage au mausolée de Sidi Chamharouch dans la région de Marrakech.
Les crotales (qraqech ou qraqeb) sont de grandes castagnettes en fer forgé. Chacune munie de deux disques bombés au centre et réunis par une tige. Elles sont accouplées deux à deux et on tient chaque paire à l’intérieur de la main par des lanières de cuir.
Et selon une légende bien répandue en milieu gnaoui, l’invention des crotales est attribuée à Sidna Bilal pour lui servir de moyen visant à distraire la fille du Prophète Lalla Fatima et la réconcilier avec son mari et cousin Sidna Ali.
Le tambour (Tbal) est un instrument de percussion qu’on porte       en bandoulière et on frappe avec une baguette rectiligne et une autre recourbée.
Pour l’écrivain et cinéaste français Jean Mazel, la danse des Gnaoua évoque les exercices d’assouplissement qui étaient pratiqués dans l’armée du Sultan Moulay Ismail. Et pour son concitoyen l’anthropologue Emile Dermenghem, cette danse est dominée par le symbolisme d’un culte animiste.
À partir de 1968, on assiste à la laïcisation des Gnaoua, déclenchée par le mouvement Jil ou Folk. Celui-ci est issu du « Théâtre de la festivalité » (Masrah Al-Ihtifaliya) et représenté par deux groupes de musique: Nass Al-Ghiouane et Jil Jilala. Le célèbre gnaoui, dit Paco, qui jouait avec le premier groupe est d’origine souirie, tandis que celui qui joue avec le second est un marrakchi, fils de Bakbou, un des grands mâalem (maîtres) Gnaoua de Marrakech.
Et pour conserver et promouvoir le patrimoine gnaoui, on organise à Essaouira pendant la saison estivale un festival qui draine des milliers de spectateurs aussi bien nationaux qu’étrangers.
La musique gnaouie a aujourd’hui une dimension internationale, il y a des Gnaoua marrakechis qui jouent avec la star du jazz américain Randy Weston. Or, le plus impressionnant de ces Gnaoua est le mâalem Brahim EL Belkani qui a une expérience musicale riche et assez vaste. Avant de s’installer définitivement à Marrakech, ce mâalem a joué avec des vedettes de la musique internationale, entre autres Catherine le Forestier, Steve Potts, Randy Weston et le groupe de musique Ibis.

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