L'université libre d'Aziz Sahmaoui

Aziz Sahmaoui – Aziz Sahmaoui & University of Gnawa
General Pattern / chez Socadisc.
Ambassadeur de la culture des Gnaoua, Aziz Sahmaoui continue, avec son University of Gnawa, à faire résonner ici les sons mystiques du Maroc. Critique.

Précisons tout d’abord que l’University of Gnawa d’Aziz Sahmaoui n’est pas une faculté dont on sort diplômé, mais un groupe de musiciens. Ceci pour éviter la répétition de la mésaventure vécue par cet habitant d’Alger qui a demandé à Aziz, via Facebook, où s’inscrire.
“Sincèrement, je pensais qu’il blaguait. Je lui ai dit d’aller du côté de Belcourt (quartier populaire d’Alger – ndlr) sans imaginer qu’il était sérieux et qu’il irait pour de bon.”
L’anecdote fait sourire ce grand Marocain âgé de 49 ans aux longs cheveux bouclés, ancien membre de l’Orchestre National de Barbès et du Zawinul Syndicate. Mais plutôt que de railler la crédulité de l’aspirant universitaire, Aziz préfère voir dans cette démarche le signe d’un intérêt grandissant pour ce qu’il appelle la “tagnaouite” (l’art des Gnaoua).
“On trouve maintenant des groupes qui jouent cette musique un peu partout. J’en connais qui sont basés dans le Sud de la France.”
Depuis l’immense succès du Festival d’Essaouira qui l’a fait connaître à la fin des années 90, la culture des Gnaoua a essaimé aux quatre vents. Aziz, lui, est tombé dedans dès la naissance. Originaire de Marrakech, il a grandi au son du tambour, des karkabous et du guembri. Il s’est endormi sur les mystérieuses mélopées accompagnant les rituels nocturnes où l’on invoque les djinns dans l’espoir d’attirer leurs faveurs, d’apaiser leur colère. Il est aujourd’hui l’ambassadeur d’une forme mondialisée, mais non dénaturée, de cette lointaine tradition, où “le groove libère et soigne”, remontant à l’arrivée des esclaves de l’Afrique subsaharienne dans le royaume chérifien.
Si elle accompagne toujours les séances d’exorcisme en milieu populaire, la version que donne de cette musique University of Gnawa est profane et souvent rock’n’roll, en raison notamment du tempérament hendrixien du guitariste Hervé Samb. Mais citer ici le Voodoo Child, n’est-ce pas déjà revenir à une dimension mystique de la musique?
“Il m’arrive d’assister à des lilas (nuits de transe – ndlr), précise Aziz, mais je ne suis pas maâlem (maître de cérémonie). Je ne sais pas faire ça. C’est une pratique très belle et très puissante, mais aussi très dangereuse.”
Sur un premier album produit par Martin Meissonnier, Aziz et son groupe reprennent certains thèmes du répertoire sacré comme Salabati ou Mimouna, qui loue une célèbre djinn du panthéon. Mais fidèles à l’esprit, ils ne cessent de s’affranchir de la lettre en mêlant instruments électriques et mandingues – calebasse, n’goni, kora – et en suivant d’autres rythmes. Dans Ana Hayou, ils révèlent ce chant fascinant des Houara du Sud marocain, le hit, avec ces voix qui se heurtent sans cesse, comme renvoyées par les parois d’un étroit défilé au coeur des montagnes de l’Atlas.
Aziz se sent éternel vagabond. Il a émigré en France dans les années 80, et a joué sur les scènes du monde aux côtés de pointures, dont l’ancien fondateur de Weather Report, Joe Zawinul, disparu en 2007, à qui il rend ici hommage dans une version à bascule du célèbre Black Market soumettant la virtuosité au vertige, foutant une belle transe au jazz savant.
Dans Maktoube (“Le Destin”), c’est le folk-singer d’un Maghreb universel qui s’éveille en lui, porteur d’une conscience généreuse et lucide, de la parole d’un peuple dont l’avenir semble bouché mais qui ne peut faire le deuil d’une démocratie du coeur. “Alors franchement, s’inscrire à mon université, pourquoi faire ? Elle est ouverte.”

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31 05 2011

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