Anne Berthod Publié le 17/09/2018. Télérama.fr
L’ami de Léo Ferré
Né en 1947 à Béjaïa, en Algérie, Djamel Allam a suivi au conservatoire les cours de Cheikh Sadek Bédjaoui, grand maître de chaâbi. Mais c’est à Marseille, à partir de 1967, qu’il a trouvé sa voie, au contact de Georges Brassens, Georges Moustaki, Bobby Lapointe et tous les artistes qui passaient à l’époque sur la scène du Théâtre du Gymnase, où lui-même travaillait comme machiniste. Léo Ferré était un ami (Allam l’a même invité à chanter quelques années plus tard dans son cabaret La Voûte, à Alger). Bernard Lavilliers, lui, l’a convaincu de monter à Paris, lui a fait découvrir les cabarets de la rue Mouffetard et l’a introduit auprès de la maison de disques Escargots.
Le barde World
Sorti en 1974, son premier album, Arguth, portait en germe tous les thèmes de son œuvre à venir : le mal du pays, le rêve des montagnes arides, la nostalgie des beignets chauds sur les plages d’Alger, la joie des retrouvailles, l’appel à la fête… Brassant chaâbi des villes et de chaoui berbère, blues et d’accents jazzy, en kabyle et en arabe, le barde algérien s’est d’emblée inscrit dans la grande mouvance world de l’époque. Cet album lui a également apporté la notoriété, avec des tubes comme Thella (« il y a une place dans mon cœur ») ou Maradiou ghal (« Quand il reviendra »), que reprendront plus tard Cheb Mami, Zebda et Yelli Yelli. C’est avec lui que le public français a découvert alors que les musiques d’Algérie ne se réduisaient pas aux roucoulades orientalisantes de Enrico Macias. « Ce n’est pas vous, Djamel Allam, qui auriez chanté Ben Guignol ou Ali Becassin’ pour rehausser le niveau de la culture algérienne », accusa ironiquement Pierre Desproges le 19 mai 1981, dans son drôlissime Réquisitoire contre Djamel Allam, après avoir appris que Chantal Goya venait d’être nommée chevalier des arts et des lettres.
L’homme en colère
Aujourd’hui présenté sur certains sites comme « le chaînon manquant entre la Kabylie et la Rive gauche », Djamel Allam était en réalité un enfant de nulle part, un baladin à la tignasse rebelle, à la fois le petit pâtre des collines de Béjaïa (qui dédia le titre Gouraya à la sainte patronne de sa ville), le hippie du port de Marseille et le titi de la Butte aux Cailles. Il était aussi l’homme en colère, qui dénonçait les violences et les guerres, comme sur Ourestrou, fameuse « complainte de la vieille » pleurant son fils mort au combat. Au total, le chanteur a laissé sept albums (de Arjouth au Youyou des anges, en 2008), quelques musiques de films (Prends 10 000 balles et casse-toi, La plage des enfants perdus…) et même un court métrage, Banc public, prix de l’Olivier au festival du film amazigh en 2013. Pour terminer, laissons encore la parole à Pierre Desproges, qui termina son pamphlet sanglant de façon plus sincère : « Djamel Allam : l’un des pionniers d’une longue caravane de chanteurs kabyles qui savent si bien rendre la beauté tragique des sauvages Aurès et le parfum envoûtant des citronniers en fleur. » Le barde kabyle, qui sera inhumé à Béjaïa, aurait sans doute apprécié l’épitaphe.