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Nouvel album de Djmawi Africa Musique mordante et chant coup-de-poing

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Énergique, nerveux, plein d’humour et diablement rythmé, le dernier album de Djmawi Africa, « Avancez l’arrière », sorti récemment chez les Editions Padidou, nous plonge dans une atmosphère musicale aussi hétéroclite qu’inédite.
djmawi-africa-ph-cherid-B40Deuxième opus du groupe, « Avancez l’arrière » naît cinq années après leur premier album « Mama ». Il est clair que Djmawi Africa prend le temps d’écrire et de composer, soucieux de préserver cette originalité de ton grâce à laquelle il s’est distingué dans une scène gnawie assez surchargée. En 2008, lorsque le public découvre leurs chansons, on a très vite compris que ces neufs musiciens avaient quelque chose de différent à proposer : cette qualité de l’innovation et de l’irrévérence qui les a éloignés du mimétisme paresseux et du réchauffé musical qui commençaient alors à caractériser la création contemporaine gnawie. Sans doute, la recherche poussée au niveau du rythme et l’incessante quête de parole différente marquent la démarche du groupe qui, avec son deuxième album, va tutoyer d’autres géographies musicales, toujours avec cette touche excentrique qui lui est propre, même si certains thèmes abordés les retiennent parfois dans un champ sémiotique limité.
Les onze titres, écrits en arabe algérien et en français, et imprégnés de plusieurs répertoires musicaux revisités à la sauce Djmawi, forment une véritable frénésie artistique qui traduit non seulement un plaisir manifeste à dire et à jouer mais surtout une insouciance rafraîchissante allant de pair avec la volonté de hausser la voix, comme on lève son poing vers le ciel.  « Avancez l’arrière », la chanson éponyme de l’album, est un concentré d’humour et de fatalisme grincheux : on y entend d’abord le bruitage d’un arrêt de bus, puis la voix de Djamil Ghouli vient nous raconter une journée ordinaire dans les transports en commun, parfait symbole d’une vie quotidienne tournant en rond et emplie de tracas aussi absurdes qu’oppressants.
« La Main droite », écrite par Julien Bordier, est une chanson reggae trempée dans une atmosphère maghrébo-orientale, un savoureux mélange dont le groupe s’est rendu célèbre dès la sortie de son premier album : « La Main froide saisit ta nuque / Un collier serre ta gorge / Un poids sur le torse t’empêche de respirer / Un bâillon serré t’empêche de crier (…) Et je comprends que la main est crispée / Consternée par mon besoin de liberté / Et je sens qu’elle peut lâcher prise / Quand je commence à contester son emprise ». Des réminiscences de Bob Marley traversent ce titre qui s’inscrit en droite ligne de la contest-song anarco-idéaliste.On retrouve plus de légèreté dans « Hchiche et pois-chiche », écrite, composée et interprétée par Djamil Ghouli, et rythmée par une très belle instrumentation au mandole. Côté thématique, rien de bien surprenant pourtant : la vie gâchée d’un jeune chômeur, son amour impossible pour une fille issue de la « Tchi-tchi » et son quotidien fait de hachiche et de pois-chiche. Un discours direct et un ton quasi-misérabiliste viennent malheureusement parasiter le plaisir de la musique qui n’arrive pas à décoller tant l’aspect sociologique l’emporte sur la poésie.
La quatrième chanson, « Bezzef », véhicule le même discours : une liste de tout ce qui ne va pas en Algérie, du chômage à la bureaucratie, en passant par la frustration et l’ennui. Le tout baigné dans une composition fébrile signée Abdou El Ksouri, et l’interprétation toujours énergique de Ghouli. « Derdba » est un titre du patrimoine, totalement revisité par Fethi Nadjem et Nazim Ziad sous des airs celtiques, et traversé par un chant tribal du Sud interprété en chœur. Puis la septième piste, « W’ssiya », apaise l’ambiance avec une écriture classique s’inspirant de la tradition chaâbi et mise en musique au carrefour du bédouin et du raï. Mais la chanson phare de cet album est certainement « Dellali », un clin d’œil au style du groupe « Amarna », auquel Djmawi Africa insuffle son propre cachet ; elle raconte une séquence du quotidien lorsqu’une belle femme passe devant un café bondé d’hommes.
L’humour du propos réussit à nous faire oublier certaines digressions méchamment misogynes, et l’exquise jonction entre chant populaire et instrumentation moderne, fait de ce morceau l’un des plus beaux de « Avancez l’arrière ». Le groupe revisite par la suite le répertoire d’Ahellil, dans une chanson où la voix aiguë de Ghouli gicle au milieu d’une psalmodie collective habitée et lancinante. Le plaisir à écouter l’album s’accroît avec un poème de Ben Msayeb, « Berrani ghrib »,  totalement méconnaissable tant la musique qui l’accompagne et l’interprétation du texte sortent des sentiers battus du répertoire traditionnel. On aurait dit que le poète tlemcenien du XVIIe siècle est devenu punk, et ça lui va à ravir ! Le dernier titre, « Manayo tribute », est un hommage à plusieurs noms de l’histoire des luttes contre l’injustice, de Mandela à Sankara, en passant par Abane Ramdane et Lumumba…  « Avancez l’arrière » renferme donc un florilège de saveurs musicales et plusieurs moments de pure création, avec un groove bien tr mpé et un jeu instrumental irréprochable.  A souligner, qu’hormis les neuf membres du groupe, des guest-stars ont également contribué à l’album : le guitariste Khelif Mizi Allaoua, le saxophoniste Benoit Templier et le percussionniste Arezki Dires.
S. H. algerienews.info
19 10 2013

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