africultures.com Ali Meziane
Le festival international de cinéma FiSahara de Dakhla a été marqué cette année par la projection du premier long métrage de fiction, « Patrie Divisée », entièrement réalisé par des jeunes sahraouis de l’école de cinéma situé dans les camps de réfugiés près de Tindouf en Algérie.
Le festival du film FiSahara qui s’est tenu du 8 au 13 octobre 2013, célébrait cette année ses dix ans d’existence. En raison des difficultés de financement, dû notamment à la crise économique qui touche ses différents contributeurs et partenaires, le festival a bien failli ne pas avoir lieu.
C’est donc avec des moyens limités que ce dernier s’est déroulé avec au programme une série de films, de festivités, d’activités et de conférences permettant à « la communauté sahraouie de présenter aux visiteurs la richesse et la diversité de leur héritage culturel ainsi que les particularités de leur société » a rappelé la ministre de la Culture du gouvernement sahraoui dans un discours donné lors de la cérémonie d’ouverture à un public venu nombreux.
L’objectif de ce festival selon les organisateurs est de permettre à la population des camps de réfugiés de bénéficier une fois par an d’un évènement dédié au cinéma et de pouvoir visionner des films pour sortir d’un quotidien de vie difficile. La population dans ces camps atteindrait aujourd’hui selon les estimations entre 150.00 et 200.000 réfugiés.
Pour les autorités sahraouies, le festival est également une opportunité de « réaffirmer l’identité sahraouie et de mettre la culture au service de la libération » au-delà du conflit territorial qui les oppose au voisin marocain depuis 1975 : le Sahara Occidental, ancienne colonie espagnole, est revendiqué par les Sahraouis et contrôlé par le Maroc à 80 %. Ce territoire reste le dernier du continent africain dont le statut postcolonial n’a toujours pas été réglé et demeure encore en suspens.
Depuis le cessez-le-feu de 1991 entre le Front Polisario et le Maroc faisant suite à un conflit armé long de 15 ans ayant provoqué l’exil d’une partie de sa population vers l’Algérie, les Sahraouis ont opté pour des moyens de lutte pacifiques en se focalisant notamment sur la promotion et la défense de leur culture et de leur patrimoine immatériel. Le ministère de la Culture sahraoui est l’organe diplomatique central de la diffusion de la cause sahraouie et est aussi celui qui bénéficie du plus important budget. Les outils de propagation de cette culture ne manquant pas, chaque événement culturel organisé par la communauté sahraouie est donc une occasion de faire entendre leurs revendications politiques. Le Festival FiSahara est de ceux-là.
Co-organisé par des associations espagnoles et le gouvernement sahraoui, ce festival en est à sa 10ème édition. Les films sélectionnés sont, à quelques exceptions près, tous en rapport avec les sujets qui concernent la question du Sahara Occidental : droits humains, vie d’exil, condition de réfugiés, lutte pour l’indépendance et l’autodétermination. L’esthétique et la qualité des films ne sont pas des critères essentiels de sélection. Le contenu et le message qu’ils véhiculent sont avant tout regardés.
Cette année, les organisateurs avaient décidé de dédier le festival aux femmes sahraouies et d’axer le choix des films autour de deux thématiques principales : droits de l’homme et « printemps arabes ». Le public a pu visionner entre autres une série de films sur les événements en Syrie avec Suffering Grasses, le conflit israélo-palestinien (Five Broken Cameras) et les événements du « printemps marocain » avec la présence pour la première fois d’un film et d’un réalisateur Marocain, Nadir Bouhmouch, venu présenter son documentaire My Makhzen & Me. Ces deux derniers films ont également reçu un prix lors de ce festival.
Mais l’événement marquant de cette dixième édition fut la projection, pour la première fois, d’un film de fiction entièrement écrit, produit et réalisé par de jeunes Sahraouis, étudiants de l’école de cinéma situé dans les camps de réfugiés.
Naissance d’un cinéma sahraoui
Les étudiants de l’école de cinéma lors de la présentation de Patrie Divisée Photo : Ali Meziane
Patrie Divisée est l’un des premiers fruits de la production cinématographique du Sahara Occidental. Jusqu’ici la question du Sahara Occidental n’avait été traitée qu’à travers des documentaires. Cet événement marque donc la naissance d’un cinéma saharo-sahraoui de fiction, nouveau venu dans le paysage cinématographique du continent Africain.
La présence d’une école de cinéma dans des camps de réfugiés, en plein désert, a de quoi surprendre. Si d’un coté les conditions de vie dans ces camps obligent la majorité des réfugiés sahraouis à se préoccuper en priorité de leur survie et de leurs besoins basiques, d’un autre coté de nombreuses infrastructures ont été érigées en 38 ans d’existence et des constructions en dur ont remplacé les tentes de fortune à travers les années.
Le territoire que couvrent les campements ressemble à un véritable micro-état : poste frontière avec l’Algérie, découpage administratif en 5 wilayas (régions) du nom des 5 grandes villes du territoire réclamé au Maroc, une autorité gouvernementale représentée par le Front Polisario, un président et une constitution, accueil de délégations officielles, casernes militaires, hôpitaux, écoles, centres communautaires et culturels, chaîne de télévision et antenne de radio nationale. Parmi ces infrastructures, l’école de cinéma est le résultat du projet « Ciné pour le peuple sahraoui » initié il y a 6 ans dans les camps de réfugiés et qui a permis la construction de « l’Ecole de Formation en Audiovisuel et Cinéma Abidin Kaid Saleh » en 2010.
L’école en est à sa troisième année d’existence, et Patrie Divisée est le premier grand projet à sortir de ces studios de réalisation. Un film d’une heure, au budget limité et qui a pris deux ans à ces étudiants à finaliser.
Si l’existence d’un cinéma sahraoui peut se poser en raison de la reconnaissance même d’un Etat sahraoui souverain, le film Patrie Divisée apporte des éléments de réponse et d’information à ceux qui méconnaissent ou ignoreraient son statut reconnu aujourd’hui par 54 (1) Etats à travers le monde en tant que République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD).
Le film raconte l’histoire d’un jeune sahraoui vivant à El Ayoun dans le Sahara « occupé » qui se voit contraint de migrer vers les camps de réfugiés. Patrie Divisée raconte les obstacles qu’il a dû franchir dans sa route vers les campements et sa découverte d’un autre monde et d’une nouvelle vie sur place. A travers cette histoire c’est la question de la division de la population sahraouie qui est racontée car bien qu’ils partagent une culture commune, la vie au jour le jour n’est pas comparable entre les deux zones et le film met en avant ces différences : les Sahraouis vivant en « territoire occupé » sont confrontés au quotidien à « l’ennemi marocain » alors que les populations dans les camps disent vivre en « zone libre ».
Le titre du film Patrie Divisée fait donc directement référence au « problème » du Sahara Occidental : pour les Sahraouis il y a d’un côté un territoire occupé et colonisé par le Maroc depuis 1975 et de l’autre les camps de réfugiés et l’exil pour le reste de sa population qui ne peut retourner sur la terre mère, avec une génération qui est née, a grandi et vit dans ces camps. Les jeunes de l’école de cinéma font partie de cette deuxième catégorie et c’est ce qu’ils tenaient à mettre en avant lors la présentation de leur film : « nous avons voulu réaliser ce film pour montrer à l’opinion publique qu’il y a des jeunes qui sont nés ici dans les camps et que malgré les difficultés, ils ont démontré leurs capacités à pouvoir produire un long métrage à cent pour cent sahraoui. »
Outre les étudiants de l’école, le film a impliqué la population locale à divers niveaux notamment dans les différents rôles disponibles pour le film, les camps de disposant pas d’une école de formation d’acteurs. On ne peut pas tout avoir.
Bien que le manque de professionnalisme des acteurs soit perceptible, l’essentiel pour l’objectif du film est ailleurs : le message que porte Patrie Divisée ne pouvait être transmis uniquement par des habitants des camps, vivant cette condition de réfugiés et cette connaissance de la culture sahraouie si spécifique. L’autre aspect important pour ce film est qu’il est entièrement tourné en Hassanya, dialecte arabe distinct parlé par les Sahraouis.
Si le film peut paraître quelque peu amateur et rencontrerait des difficultés à être sélectionné dans d’autres festivals, il crée cependant un genre local nouveau, dans lequel la jeunesse sahraouie se reconnaît. Le public, lui aussi très jeune, a répondu de manière positive durant la projection et a plutôt bien reçu le film à en croire les réactions. Riant, applaudissant, chantant des slogans patriotiques et semblant se reconnaître dans les questions portées par le film : exil, division, condition de réfugiés, valeurs familiales, solidarité et relations amoureuses.
Les héros du film sont des jeunes touchés par ces questions multiples et représentant l’avenir de cette population qui porte l’espoir d’un retour vers la terre mère. Cette terre de leurs parents, que toute une jeunesse née et ayant vécu toute leur vie dans les camps n’a connue qu’à travers les récits des anciens, les livres d’histoire ou l’actualité qui leur parvient de l’autre coté à travers leur famille et les réseaux sociaux. Un autre côté divisé par un mur de sable, autre symbole de division présent dans le film. Appelé « mur de la honte » par les Sahraouis et « mur de sécurité » par les marocains, ce mur long de 2720 km fut érigé entre 1980 et 1987 par le Maroc afin de séparer la zone contrôlée par ses autorités de celle contrôlée par le Front Polisario.
Certains étudiants de l’école mènent d’ailleurs une campagne de dénonciation contre le mur et sont membres d’un groupe indépendant nommé « cris contre le mur », également présent lors du festival et protagoniste dans le film, qui organise chaque mois une manifestation face à ce mur au terrain miné en réclamant sa démolition. La fiction rejoignant la réalité, à travers le film comme dans la vie la dénonciation de ce mur est donc centrale pour eux car il représente le symbole principal de cette division : « Malgré le fait que la société sahraouie n’existe pas dans l’univers du 7ème art, nous voulons à travers ce film montrer que le peuple sahraoui connaît l’importance qu’occupe le cinéma, l’importance qu’occupe l’art pour diffuser notre cause et la transmettre au reste du monde. Le cinéma peut être un outil pour arriver à notre indépendance ».
Si à travers ce film ce sont les voix de la jeunesse sahraouie qui s’expriment et que Patrie Divisée n’est que le premier long métrage de fiction, il reste néanmoins un long chemin à parcourir à son cinéma pour exister en dehors de ses frontières. La politique culturelle menée par les autorités sahraouies est une arme essentielle dans la promotion de leurs revendications d’autodétermination aussi bien à l’étranger qu’au sein de sa population. A tel point que toutes les productions culturelles sont fortement contrôlées par le ministère de la Culture, laissant peu de place à un contenu autre que politique qui ne refléterait pas les préoccupations actuelles des Sahraouis et aux initiatives indépendantes, quasiment inexistantes.
Le domaine du cinéma et de l’audiovisuel en général n’échappe pas à cette autorité. L’école de cinéma et d’audiovisuel, bien que fondé conjointement avec des organismes espagnols reste sous le contrôle du ministère de la Culture sahraouie. Des initiatives indépendantes existent pourtant.
En 2008, la Coopérative de Cinéma Haminetu Haidar fut créée à l’initiative d’un groupe de jeunes Sahraouis ne disposant d’aucunes aides de leurs autorités. Ce groupe réalisa entre 2008 et 2011 des documentaires sur divers sujets qui touchent la population vivant dans les camps. Si la coopérative n’est plus active aujourd’hui, c’est qu’elle ne dispose plus des moyens et des équipements nécessaires pour continuer à produire des films. Depuis leurs initiatives semblent avoir été freinées par les autorités locales qui ont octroyé à l’école de cinéma un quasi-monopole sur la production cinématographique dans les camps.
Il semble compliqué dans ce contexte pour le cinéma sahraoui d’avoir une orientation autre que politique et d’exister indépendamment de ses autorités, ces dernières utilisant le cinéma comme un outil supplémentaire à des fins purement culturelles, politiques et sociales.
C’est un constat que l’on peut observer à travers Patrie Divisée où l’aspect esthétique et artistique est secondaire par rapport à la qualité politique du film alors que les deux ne sont pas incompatibles. Il paraît alors difficile pour ce film de trouver une place sur la scène cinématographique internationale, prenant le risque d’aller à l’encontre même de l’un de ses objectifs principaux, à savoir celui de diffuser la cause sahraouie au reste du monde. Le message porté par le film est louable et juste notamment depuis le point de vue sahraoui pour lequel le combat politique est indissociable du combat culturel : la lutte pour l’indépendance, la quête d’émancipation et le combat contre la domination qu’ils subissent sont les symboles de leur culture qui ont le plus de valeurs à leurs yeux. Néanmoins ce message peut, sous d’autres perspectives, apparaître fortement propagandiste et perdre ainsi de son intérêt aux yeux d’un public non averti à la question sahraouie et non partisan de leur cause.
De nombreux pays ont par le passé su allier qualité cinématographique et message politique qu’ils ont pu transmettre et diffuser à travers le monde et le cinéma sahraoui, bien que naissant, pourrait s’en inspirer dans le futur. Il est également essentiel de laisser des initiatives indépendantes s’exprimer afin d’offrir une multiplicité de points de vue sur les problèmes que connaît le peuple sahraoui dont la vision sur la question du conflit, leur regard sur le monde et les aspirations qu’ils portent ne forment pas, à coup sûr, un ensemble homogène.
1. Selon un rapport remis au parlement Européen en 2002.
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PATRIE DIVISÉE : LE SAHARA OCCIDENTAL VU PAR SON CINÉMA
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