24.3 C
New York

Stambeli, l’héritage des noirs de Tunisie

Published:

La musique noire s’est aussi fait une place en Tunisie grâce au stambeli, à découvrir avec un double objet, à la fois livre et disque.

Salah el-Ouergli jouant du gumbri, by Matthieu Hagene © Tous droits réservés

Aucun rapport avec la plus grande ville turque sinon ce nom, «stambeli» qui signifie «d’Istanbul» en arabe et qui désigne, en Tunisie, ce que l’on appelle au Maroc la musique gnawa, celle des descendants d’esclaves noirs en Tunisie.
Voilà donc un disque bienvenu; car si une foule de compilations sont sorties ces dernières années mettant en valeur les musiques noires du Maroc —et aussi un peu celles d’Algérie, avec l’artiste Hasna el Bécharia par exemple, ou avec le groupe Gaada Diwan de Béchar—, peu de productions nous parvenaient de Tunisie. Voilà l’oubli réparé.
Et mieux que réparé, car ce CD, accompagné d’un livret brillamment documenté, est un double objet, à la fois livre et disque et qui nous apprend une foule de choses sur l’histoire de ces hommes et femmes qu’on allait chercher en Afrique subsaharienne pour les faire travailler en Afrique du Nord, des siècles avant la grande traite européenne transatlantique.
C’est le joueur de gumbri (luth à 3 cordes) et chanteur Salah el-Ouergli, que l’on voit sur la pochette du CD un brin de jasmin à l’oreille, qui s’y colle. Et son gumbri ne ressemble en rien au gumbri marocain ou algérien. Pas de doute, nous sommes bien en Tunisie!
La question noire, taboue au Maghreb
Les élites occidentalisées au Maghreb —et avant elles le pouvoir colonial, et encore avant, les princes arabes qui cautionnaient ce commerce d’esclaves— n’ont jamais mis en valeur l’«africanité» des cultures d’Afrique du Nord. Et en Tunisie aujourd’hui, la question noire reste, sinon un tabou, l’objet d’un grand silence.
Au sud de ce pays, la couleur de la peau se fonce incontestablement et l’on rencontre des personnes aussi noires qu’autour du lac Tchad ou que le long du fleuve Niger, mais qui font l’objet d’un racisme latent, comme dans d’autres pays —Antilles, Inde, Australie…— où les couleurs de peau varient.
Ainsi par exemple, une jeune fille au teint sombre sera forcément considérée comme moins séduisantes, et les mariages entre Tunisiens «blancs» et «noirs» restent rares, même si cela ne fait l’objet d’aucune enquête officielle, puisque la «question noire» n’existe pas là-bas…
Quelques sociologues et musicologues se sont néanmoins penchés sur ces musiques et cultures noires, tels Khalil Zamiti dans son livre Sociologie de la folie – Introduction au chamanisme maghrébin (Ceres, 1982) ou Ahmed Rahal dans La Communauté Noire de Tunis, Thérapie initiatique et rite de possession (L’Harmattan, 2000) qui décrivent tous deux ces séances où, comme en Afrique noire, à Haïti avec le vaudou ou au Brésil avec le candomblé, la musique est au service d’un culte thérapeutique de possession/dépossession par les esprits.
Des pratiques centenaires réprouvées par l’islam
Et on comprend ainsi pourquoi la culture officielle, qui s’est toujours réclamée de l’islam, a dénigré ces autres pratiques que la religion réprouvait totalement, et qui continuent pourtant de fleurir, depuis des siècles, comme le montrent les photos du livret de ce disque Stambeli.
Des pratiques qui se perpétuent notamment grâce aux femmes, qui partout au Maghreb fréquentent les marabouts —interdits par l’islam officiel— et continuent ainsi de faire vivre des pratiques païennes pré-islamiques. Certaines noubas (suites musicales) ont ainsi pour but de guérir la stérilité féminine, tandis que d’autres aident à trouver un mari convenable.
On entendra donc ici des rythmes (guembri et shqashiq, les castagnettes en fer appelées karkabou en Algérie), ainsi que des manières de chanter (solos d’homme et choeurs en répons) très proches de celles pratiquées dans d’autres zones du Sud saharien du Maghreb.
Le livret nous apprend également foule de choses sur ces hommes venus du Tchad, du Mali ou du Niger, et qui parlaient encore haoussa, songhay ou bambara, dans les «maisons communautaires» où ils étaient logés, à Tunis.
Ce disque est ainsi consacré à la tradition du «Dar Barnou» (la Maison Barnou), dont le maître est mort en 2008, où l’on parlait largement haoussa ou kanouri (une langue du Tchad) et où se pratiquaient ces séances musicales, que certains beys (préfets de l’empire ottoman à Tunis), au XVIIIe siècle, faisaient parfois exécuter dans leurs palais, avouant ainsi une croyance dans ces pratiques thérapeutiques qu’ils dénigraient officiellement…
Nadia Khouri-Dagher
http://www.slateafrique.com/617/stambeli-musique-heritage-noirs-tunisie

Related articles

Recent articles

spot_img
WP Radio
WP Radio
OFFLINE LIVE