Entretien avec Maâlem Abdeslam Alikane, co-directeur artistique du Festival Gnaoua

« La musique gnaoua est porteuse de valeurs que nous devons coûte que coûte préserver »
Codirecteur artistique du Festival Gnaoua avec Karim Ziad, Maâlem Abdeslam Alikane peut se targuer d’avoir une grande expérience dans la gestion artistique des rendez-vous culturels. « Les musiciens me respectent, je suis l’un des leurs, je connais les capacités des uns et des autres si bien que j’accomplis ma tâche avec plus de souplesse », affirme-t-il.
Entretien.
Starducongo.com : Le Festival d’Essaouira a fêté récemment ses 14 ans d’existence. Estimez-vous aujourd’hui avoir atteint vos objectifs de départ ?
M. A : 14 ans c’est l’âge de la maturité. C’est aussi la preuve que nous avons fait un long chemin avant de parvenir au niveau et à la notoriété dont jouit aujourd’hui le Festival gnaoua sur la scène nationale et internationale.
Il est vrai que tout n’a pas été rose. Il a fallu d’abord sortir cette musique du cadre restreint dans lequel elle évoluait (maisons, marabouts, etc.) pour que tout le monde l’apprécie à sa juste valeur et ensuite permettre aux artistes qui la portent d’en faire un vrai métier.
A nos yeux, il était important que les Marocains s’en imprègnent véritablement et s’y identifient avant de la valoriser à l’étranger. Nous avons donc pris plusieurs initiatives dont des résidences et fusions avec d’autres artistes et styles musicaux en veillant à ce que l’art gnaoua ne perde pas de son âme. Sans pour autant oublier une ouverture sur le monde, notamment vers l’Afrique.
Aujourd’hui, on peut dire que la musique gnaoua a gagné en notoriété, les maâlams sont désormais des artistes reconnus, célèbres et sollicités par de nombreux pays. Mieux, de plus en plus de jeunes groupes (Darga, Hoba Hoba Spirit, etc.) se sont inspirés de ce mouvement, ce qui naturellement enrichit notre culture.
J’ai été membre du jury aux premières heures du Boulevard des jeunes et à cette époque déjà, nous donnions l’occasion aux lauréats de participer à notre festival. Un nouveau mouvement était né, après celui des années 70 avec les Migri, Nass el ghiwane, entre autres.
Une anecdote : je me souviens avoir eu du mal à trouver un batteur lors d’une tournée en Afrique dans les années 80 avec l’artiste congolais Ray Lema. Heureusement que Karim Ziad (co-directeur artistique du Festival), qui jouait à cette époque avec Cheb Mami, a accepté de nous accompagner. Aujourd’hui, on trouve plus facilement des batteurs au Maroc grâce à ce mouvement, entre autres.
Comment organisez-vous le Festival pour que ce succès perdure ?
Je m’occupe de la direction artistique. A ce titre, j’essaie de me placer entre le passé et le présent, entre le nouveau et l’ancien. Sur ce point, il est important de souligner que la musique gnaoua est porteuse de valeurs que nous devons coûte que coute préserver. J’essaie donc de ne pas céder aux sirènes de la mode, du succès ou encore d’être influencé par le public, conscient que ce festival a un concept à préserver quand bien même il faudrait rester dans l’air du temps.
Nous avons organisé au début du festival des rencontres et débats animés par des experts sur diverses thématiques en rapport avec le festival. Avec le souci de ne jamais nous éloigner de nos objectifs, à savoir préserver l’art gnaoua et veiller à ce que la transmission de cette tradition perdure.
Justement, le mode de transmission va-t-il résister au temps ? N’envisagez-vous pas d’autres formes pour préserver cet art ?
Je ne suis pas fils d’un maâlem : mon père n’en était pas un, j’ai pourtant appris cette musique grâce à mes voisins. Plusieurs artistes sont devenus de grands maâlems sans que leurs parents aient pratiqué cet art. C’est dire que la musique gnaoua est très ouverte.
Le plus important c’est d’aimer ce métier. Car il ne suffit pas de clamer qu’on est maâlem pour le devenir. C’est votre entourage, des anciens qui, considérant ce que vous faites, vous déclarent maâlem, ou encore estiment qu’on peut faire une transe sur votre musique. Vous devez donc avoir leur bénédiction, car un maâlem n’est pas seulement un excellent musicien, grand dribleur … c’est bien plus que cela.
La sélection des maâlems devant participer au festival se fait-elle facilement ?
J’ai un avantage : les musiciens me respectent, je suis l’un des leurs, je les connais si bien que je sais qui est apte à faire une fusion, une lila ou encore peut créer une vraie animation de la scène durant un temps précis. Aussi, Karim Ziam et moi échangeons régulièrement des idées tout comme avec des musiciens, ce qui rend ma tâche plus aisée.
En fusionnant des groupes de hip-hop, breakdance avec cet art, ne prenez-vous pas le risque de créer une confusion voire pervertir cette musique ?
Nous savons pertinemment bien ce qui peut marcher ou non dans une fusion. Croyez-moi, dans la danse gnaouie, il y a toujours des ouvertures vers d’autres styles musicaux. L’art gnaoui est infini. Toutes les musiques du monde peuvent s’en accommoder. Evidemment, il faut avoir une certaine expérience pour le rendre possible.
Comment voyez-vous alors l’avenir de la musique gnaoua?
J’ai bon espoir qu’elle s’imposera dans le monde grâce à des musiciens de talent qui travaillent à perpétuer cette musique. On a maintenant des jeunes qui écrivent et lisent la musique, ce qui nous rassure et nous laisse penser que la relève sera à la hauteur des aînés. Tout indique qu’à l’avenir, ce genre musical va figurer au palmarès des grandes musiques de ce monde.
Propos recueillis par ALAIN BOUITHY
Mardi 26 Juillet 2011

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