Des hommes et des Dieux, de Xavier Beauvois en images

Beauvois revient sur un épisode sanglant de la guerre civile algérienne de 96: le massacre des sept moines trappistes de Tibbhirine.
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Le 26 mars 1996, durant le conflit qui oppose l’Etat algérien à la guérilla islamiste, sept moines français installés dans le monastère de Tibéhirine, dans les montagnes de l’Atlas, sont enlevés par un groupe armé. Deux mois plus tard, le Groupe islamique armé (GIA), après d’infructueuses négociations avec l’Etat français, annonce leur assassinat. On retrouvera leurs têtes, le 30 mai 1996. Pas leurs corps.
L’affaire eut un énorme retentissement. En 2003, à la faveur d’une instruction de la justice française, des doutes sont émis sur la véracité de la thèse officielle. En 2009, à la suite de l’enquête du journaliste américain John Kiser et des révélations de l’ancien attaché de la défense français à Alger, l’hypothèse d’une implication de l’armée algérienne est avancée.
On en est là, aujourd’hui, du fait divers atroce qui inspire un film au réalisateur français Xavier Beauvois, troisième et dernier cinéaste français à entrer en lice après Mathieu Amalric (Tournée) et Bertrand Tavernier (La Princesse de Montpensier).
Très attendu pour toutes ces raisons, le film surprend, au sens où il défie les attentes. On pouvait imaginer un état des lieux du post-colonialisme, une évocation de la montée des intégrismes, une charge politique sur les dessous de la guerre. Or Xavier Beauvois nous emmène ailleurs, et signe un film en tous points admirable.
Cinquième long métrage, en dix-huit ans, du réalisateur de Nord (1991) et de N’oublie pas que tu vas mourir (qui reçut le Prix du jury à Cannes en 1995), Des hommes et des dieux est d’abord un film sur une communauté humaine mise au défi de son idéal par la réalité.
Le film est tourné de leur point de vue, et partant, de celui d’un ordre cistercien qui privilégie le silence et la contemplation, mais aussi le travail de la terre, la communion par le chant, l’aide aux démunis, les soins prodigués aux malades, la fraternité avec les hommes. C’est de cette exigence spirituelle que le film veut rendre compte, de ce sentiment pascalien de la finitude de l’homme, de l’ouverture à autrui qu’il implique.
Sa lenteur, son dépouillement, sa fidélité au rituel de la communauté, la connivence partagée avec leurs frères musulmans, la beauté déconcertante du paysage (le monastère a été reconstitué au Maroc), sont pour beaucoup dans la réussite de cette ambition. La troupe d’acteurs, d’une remarquable justesse (parmi lesquels Lambert Wilson et Michael Lonsdale), donne corps à ces antihéros refusant de se rendre à la raison du monde tel qu’il est.
Lors de la conférence de presse qui a suivi la projection du film, mardi 18 mai, Lambert Wilson a livré une information sur sa préparation qui permet d’expliquer cette justesse: « Curieusement, cette fusion qu’ont ressentie les moines, nous l’avons aussi vécue. Nous avons fusionné dans les retraites et fait des chants liturgiques. Le chant a un pouvoir fédérateur. »
Puis vient l’heure de la crise, de la mise à l’épreuve. Le hideux visage de la terreur se rapproche, des ouvriers croates sont égorgés non loin de là. Elle finit par frapper à la porte du monastère, une nuit de Noël. Les terroristes sont à la recherche d’un médecin et de médicaments pour leurs blessés. Les moines refusent de se déplacer mais accepteront de soigner les blessés dans l’enceinte du monastère. Une scène capitale a lieu ici : la poignée de main entre le prieur de la communauté (Wilson) et le chef des terroristes.
Ce geste opère un rapprochement entre deux extrêmes irréconciliables de la conviction mystique : la conquête des esprits par la violence et le sacrifice de soi-même pour l’exemplarité de l’amour. C’est au cheminement héroïque des moines vers ce second terme qu’est consacrée la majeure partie du film. Refusant l’aide de l’armée, préservant la fraternité avec la population locale, surmontant leur peur et leurs divisions internes, les moines prendront à l’unisson, comme dans le chant qui les rassemble, la décision de rester.
Quelques scènes magnifiquement inspirées ponctuent cette lente montée vers le martyre. La lutte visuelle et sonore entre l’hélicoptère vrombissant de l’armée et le chant des frères rassemblés. Ou encore cette bouleversante série de travellings sur les visages des moines, à l’issue de la décision qui engage leur vie, accompagnée par le déchaînement lyrique du Lac des cygnes de Tchaïkovski. Il fallait oser ce plan digne de Dreyer et de Pasolini, au risque de la boursouflure, du credo béni-oui-oui.
Beauvois a osé, et il a bien fait. C’est bien le diable si ce très beau film produit par Pascal Caucheteux (déjà bienheureux en 2009 avec Un prophète) ne remporte pas à Cannes quelque chose de grand à l’heure du jugement suprême.
Film français de Xavier Beauvois avec Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Jacques Herlin. (2 h 00.) Sortie le 8 septembre.
Jacques Mandelbaum
Article paru dans l’édition LeMonde.fr du 20.05.10

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